Passé décomposé - Le pays

Publié le par Jacques Guilloreau

Que j'aimais ce pays
qui m’a donné la vie.
En cette verte vallée
où les jours s'écoulaient
loin des vagues-foules,
très loin de la houle
de ce monde tourmenté.
Que j'aimais emprunter
les petits chemins creux,
discrets et rocailleux,
au parfum de noisettes.

Que j'aimais fouler
la douillette moquette
des feuilles mordorées
de l'été qui nous quittait,
crissantes sous les souliers.
Que j'aimais arpenter
ce beau damier coloré
des champs et des prés.
Réimprimé chaque saison
comme le catalogue illustré
des grandes maisons.

Que j'aimais humer
la senteur des moissons,
l'odeur des fenaisons,
la terre des herbages
après l'ondée d'orage.
Que j'aimais méditer
dans la paix monacale
des futaies-cathédrales,
seulement troublée
par les prières du vent
aux arbres frissonnants.

Que j'aimais voir
les brumes du soir,
en vaporeux voiles blancs,
border le lit des ruisseaux
et envelopper doucement
les maisons, les hameaux.
Que j'aimais écouter
les chiens s'appeler
dans les fermes alentour.
Et les petits oiseaux fêter
le lever du jour.

 

Que j'aimais éprouver
ce frisson d'anciens temps
du chasseur qui attend,
tapi à l'orée d'une forêt.
Pardon, amis des bêtes,
d'avoir été aussi bête
de savourer le fumet
d'un lièvre en civet
ou de perdreaux rôtis
au four, bien saisis,
croustillants et dorés.

Que j'aimais rêver
sur les sites rougeoyants
des bûches s'effritant
dans l'âme du foyer,
comme châteaux ruinés
ou montagnes ravinées
par le fleuve du temps.
Ce temps qui s'égrenait,
sans jamais se presser,
au tic-tac rassurant
de l'horloge à balancier.

Que j'aimais ce temps
des grand-mères tricotant,
complices des enfants.
Des messes endimanchées,
des jours de mariage,
des fêtes de village
sur fond d'accordéon...
Ce temps des impressions
fortement ressenties
qui font frémir la chair
et enivrent l'esprit.

Ce temps très cher
aux accents de pays.
Je l'ai perdu à jamais
pour tenter de "gagner"
ma vie. A Paris.

© Jacques Guilloreau
Cris écrits

 

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