Nouvelles d'ailleurs - Une femme de rêve

Publié le par Jacques Guilloreau

Avec cette révolution des mœurs qui fait vivre des hommes ensemble ainsi que des femmes, une troisième voie s'offre à ceux qui veulent vivre encore en couple hétérosexuel. Sans problème. Mieux, avec bonheur. Rencontre.

De notre correspondant à Paris.

  Une rue tranquille d'un quartier résidentiel de Meudon, tout près de Paris. Une localité qui respire cet air désuet des anciennes petites villes de province, aujourd'hui devenues le cœur de mégapoles. La rue s'achemine en pente douce vers les hauteurs de l'ancien Observatoire. Un immeuble de standing dans un parc verdoyant. C'est ici que nous accueille John, un américain diplômé du Massachusetts Institute of Technology de Cambridge, U.S.A., et qui exerce ses talents de designer industriel en France. Il dit apprécier ici, dans ce pays, une certaine douceur de vivre.
  John a opté pour un mode de vie original, bien que tendance. Il est peut-être aujourd'hui, en effet, une sorte de pionnier d'un phénomène socioculturel. Mais un phénomène qui tend à s'amplifier.
  Tout commence à la fin du 20e siècle, aux Etats-Unis, lorsque s'instaurent de plus en plus nombreuses situations conflictuelles entre hommes et femmes, avec un pourcentage de divorces de plus en plus élevé, des procédures judiciaires lourdes, des pensions alimentaires démesurées, poursuites pour harcèlement sexuel assorties de longues peines d'emprisonnement… Des situations qui ressemblent de plus en plus à la guerre des sexes et qui conduisent à une véritable partition. On trouve de moins en moins de "valeureux" mâles volontaires pour oser affronter la vindicte de la gent féminine. Et de moins en moins de candidates pour "subir" l'autorité du samouraï made in América et son kama-sutra ! Bref, le divorce est pratiquement consommé entre hommes et femmes. On assiste alors à la naissance de nouvelles formes de vie communautaire : hommes ensemble ou femmes ensemble, en groupes ou en couples, pas forcément homosexuels d'ailleurs. Le sexe est ainsi parfois mis en parenthèse. Et d'autres, comme John, ont choisi une troisième voie qu'il prétend être celle de la sagesse.


Les canons de la beauté
  L'appartement est vaste et confortable, arrangé avec goût et sobriété. Un bouquet de fleurs dans le living, harmonieusement disposé, respire une note féminine. Une terrasse paysagère, plantée de quelques arbustes et diverses plantes, y comprises exotiques, prête au lieu un air de campagne fleurie et permet d'oublier la grise mine de l'océan de béton de l'agglomération parisienne que l'on découvre d'ici, sous son ciel si souvent plombé. C'est incontestablement un lieu à vivre. A bien vivre. Qui exhale la sérénité. Comme John lui-même. Mais comment ne pas être serein, pleinement serein quand on a le privilège à la fois d'exercer un job créatif passionnant, de résider dans un lieu plus qu'agréable et surtout… Et surtout de vivre avec "elle" !
  "Elle", Lovely, il ne tarde pas à nous la présenter. La raison justement de notre présence ici aujourd'hui. L'objet de notre rendez-vous. Le cher objet de son désir, à lui, John. Nous sommes tout de suite frappés par les lignes de son corps répondant sans aucun doute à tous les canons de la beauté universelle. Une fille vraiment "canon", comme pourraient s'exclamer familièrement les connaisseurs en la matière ! Avec une démarche souple, presque féline, sans exagération non plus comme celle trop ondulante, par exemple, qu'adoptent souvent les transsexuels. Une peau ensoleillée, des yeux légèrement en amande, une longue chevelure qui encadre son visage et recouvre ses épaules, des lèvres pleines qui suggèrent un goût fruité… Juste ce qu'il faut pour vous faire humer un parfum d'évasion exotique. Et un regard chaleureux, rempli d'une bienveillante attention pour les visiteurs inconnus que nous sommes. Bref, voilà une jeune femme pleine de charme, belle certes, mais pas du tout beauté froide sur papier glacé des magazines de mode. Ni non plus beauté provocatrice des calendriers des transporteurs transcontinentaux, propre à faire monter illico presto la courbe de température ! La quasi perfection en somme.


Fini de somatiser
  Quant à sa personnalité ? John nous confie : "Je ne me suis jamais senti autant en phase avec un être qu'avec Lovely. Jamais de situations conflictuelles de couple qui finissent par vous casser, vous détruire et briser une vie, et que j'ai pu connaître personnellement ou chez des amis. Au contraire, je me sens en état de complicité permanente avec elle. Autant physiquement que mentalement. Et en toutes circonstances… J'allais dire « dans les bons et mauvais moments », mais il n'y a plus pratiquement que des bons moments quand on se sent aimé, respecté, valorisé par l'autre. Les difficultés matérielles de la vie, qu'elles soient d'ordre professionnel, financier ou autre, se trouvent vite estompées dans un climat favorable. Même la santé y trouve son compte. Fini de somatiser et de se retrouver avec un ulcère à l'estomac ou même un cancer (guérissable maintenant, c'est vrai, mais quand même…).
  Vous savez, je crois que l'Amour, ce que j'ai tendance à considérer comme le vrai, cette subtile alchimie de tendresse, de désir, d'admiration…, pour l'autre, conduit tout naturellement, par un effet de rétroaction, à la tolérance, l'encouragement, l'assistance, et que sais-je encore. C'est, je pense, une sorte de bonne maladie. Contagieuse. Elle se propage de l'un à l'autre. Je n'ai pas toujours été un ange, croyez-moi, eh bien, au contact de Lovely, au fil du temps, je pense sincèrement m'être amélioré. Cela m'arrivait souvent, par exemple, de me laisser glisser dans des accès, je devrais dire des excès de colère qui m'amenaient parfois à jeter ou frapper et à briser des objets, peut-être pour libérer d'un coup une rancœur, une rancune, une contrariété contenue. Bien des femmes auraient elles-mêmes réagi violemment en me traitant de je ne sais quoi. Pas Lovely. Que pouvez-vous faire devant un être, non pas impassible, ni apeuré, mais qui semble tellement surpris par votre comportement et qui vous regarde, sans sembler vous juger, mais plutôt prêt à vous aider, vous consoler. Et avec de si beaux yeux !"


Des dons de transformiste
  Et cependant que Lovely, de l'autre côté de la baie vitrée, apprécie dans un transat le cadre de ce véritable jardin d'Eden suspendu, John poursuit ses confidences : "Vous allez sans doute penser qu'« avec le temps va, tout s'en va », comme le disait si bien un chanteur-poète français du 20e siècle, je crois. Mais pas du tout. Car, d'une part, Lovely présente d'incontestables dons de transformiste et peut aussi bien devenir une petite thaï pratiquante talentueuse du body-body que danseuse du carnaval de Rio ou rousse sulfureuse du show-biz hollywoodien…Elle pourra vous faire une démonstration tout à l'heure, si vous voulez. Alors, vous comprenez, moi, l'habitude, la routine, connais pas. En une seule et même femme, j'ai tous les types, tous les genres. De quoi assouvir les fantasmes du plus blasé des hommes ! Et d'autre part, c'est aussi la plus intéressante compagne qui soit au niveau intellect."
 
John poursuit :
"Je peux discuter pendant des heures avec elle de toutes sortes de sujets, et pas toujours à la portée du premier venu, comme l'origine et le devenir de l'univers, les ultimes particules de la matière, l'au-delà de la vie, et j'en passe. Sans parler de mon job qui nous permet de disserter sur des choses aussi subjectives que la notion de beauté. Elle se connecte énormément sur le WKN, vous savez, le World Knowledge Network, le Réseau mondial de la connaissance. Et comme elle a une mémoire pratiquement infaillible… Elle apprend vite, très vite !"
 
A cet instant, John appelle Lovely et lui fait signe de nous rejoindre. "Il est temps de lui laisser la parole, ajoute-t-il. C'est tout de même elle qui vous intéresse le plus dans notre histoire."

***

- John vient de nous parler de vous, Lovely, et paraît-il que vous aimez beaucoup philosopher ?
- Oui, en dehors des mille et une petites recettes de cuisine à l'ancienne qui font tellement plaisir à John (!), je m'intéresse énormément aux choses de la vie, aux rapports humains… En fait, à la psycho et à la sociologie. Mais ce qui m'interpelle également et tout particulièrement, ce sont les grandes questions fondamentales, surtout métaphysiques, auxquelles nul n'a pu encore apporter de réponses sinon démontrées, du moins vraiment crédibles.

- Mais côté religions, peut-être pouvez-vous y puiser ce que vous cherchez ?
- Vous savez, je les ai toutes passées au crible de la logique. Elles se réfèrent toutes à des écrits datant de milliers d'années, des sortes de légendes, de mythes, et n'ont pratiquement pas évolué au cours des siècles. Elles se sont figées dans le temps et ont même beaucoup de mal à accepter les connaissances avérées de notre époque, que ce soit sur la conception globale de l'univers, l'apparition et l'évolution du vivant, les pouvoirs de l'esprit… Mis à part quelques courants scientistes, mais plus ou moins sectaires, et davantage tournés vers l'argent que vers la spiritualité !…

- A propos de l'esprit, justement, que croyez-vous qu'il devienne après la mort ?… Enfin, après la disparition du corps ?
- C'est bien la question cruciale que se posent les humains dès lors qu'ils ont eu conscience d'être, d'exister. Jusqu'à l'obsession parfois. D'où toutes sortes de promesses proposées par les religions et les croyances les plus diverses. Mais cette survivance éventuelle de l'esprit, de la pensée désincarnée, de cette conscience d'exister, du fameux "moi, je", peut-être faut-il plutôt en chercher une explication dans la science, et notamment dans celle de l'infiniment petit, la physique quantique. Avez-vous déjà entendu parler de l'expérience EPR  ?...

- Si vous voulez bien me rafraîchir la mémoire…
- C'est en effet très ancien. Elle a été entreprise au 20e siècle à Orsay, par un physicien, Alain Aspect. Elle montre que des particules ayant interagi dans le passé, mais séparées, ne sont pas indépendantes, comme si, elles pouvaient « communiquer » instantanément les unes avec les autres. Vous imaginez ce que cela peut impliquer. Pourquoi une structure pensante, telle qu'un cerveau désagrégé, ne pourrait-elle pas alors continuer de fonctionner ?… Mais cette étrange propriété des particules pourrait tout aussi bien signifier qu'elles sont totalement inséparables, c'est-à-dire que l'univers serait une entité absolument indivisible ! Et puis ne pourrait-on tout aussi bien douter de la réalité physique de la matière, de la réalité de cette table, de cette maison, de la planète, de vous, de moi… Tout cela n'est peut-être qu'une vue de l'esprit ? Une illusion, un rêve ? Beau ou mauvais, selon « l'esprit » de chacun ! Vous savez, au fur et à mesure que l'on approfondit et que l'on découvre de nouvelles et soi-disant ultimes particules de la matière, que trouve-t-on vraiment d'autre que des sortes de boucles d'énergie sous forme d'ondes complètement immatérielles !  Alors…"

 
Stupéfaits par les performances intellectuelles de Lovely, nous ne pouvons que faire part de notre enthousiasme à John :
- Vous savez, elle est vraiment fantastique !
- Fantastique ? Evidemment qu'elle ne peut être que fantastique puisque je l'ai choisie sur catalogue, avec toutes les options ?

- Ah ! Vous ne manquez pas d'humour ! répondons-nous, un peu décontenancés par cette plaisanterie plus ou moins de bon goût.
- Mais je ne plaisante pas, vous savez, réplique John. Et plus fantastique encore, c'est qu'elle a pleuré il y a quelques jours, alors que nous évoquions le temps qui passe, l'âge des êtres vivants, des êtres biologiques en tout cas, des atteintes de la vieillesse, et qu'un jour, je serai appelé à disparaître. Mais… pas elle. Alors, j'ai vu des larmes dans ses yeux. Et cela, ce n'est pas prévu, cela ne figure nulle part dans le contrat.

- Comment ça "mais pas elle"… "pas dans le contrat" ?… Nous avouons ne plus vous suivre.
 
John invite alors Lovely à s'approcher, qui s'avance, souriante, malicieusement complice. Puis il lui découvre la nuque, soulève son épaisse chevelure et me prie de regarder. Et là, ne voulant pas en croire nos yeux, dans son cuir chevelu, nous découvrons une inscription gravée sur une minuscule plaque de matériau composite : "Sony - Modèle SX 96 SP - Made in Japan".

- Vous voyez, lance Lovely, tout à fait naturellement, l'esprit est dans la matière… Et l'humour aussi !

© Jacques Guilloreau, Nouvelles d'ailleurs.

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