Défense de mourir !

Publié le par Jacques Guilloreau

  Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les Autoratés prennent d'autorité des dispositions drastiques pour nous empêcher de mourir. Et de plus en plus.
  Défense de mourir, tel est le credo, cré nom de nom ! Sous peine d'amendes. Et sacrément amères, parce qu'ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère !
  Regardez, ça commence dès le jardin d'enfants. Vous voyez des gosses sur leur petit vélo sécurisé avec déjà trois roues arrières, bardés de casque, genouillères et tout le toutim. Ceux-là, je doute qu'ils soient un jour cascadeurs ! Si ça continue, il va falloir respecter une procédure pour apprendre à mettre un pied l'un devant l'autre.
  Alors, plus tard, quand il s'agit de prendre le volant, c'est une autre paire de manches. "De mon temps", au temps béni des Trente Glorieuses, comme disait papy, il y avait, en France, dans les meilleures années, 17 000 allongés sur le boulevard des Macchabées. Avec les grandes transhumances saisonnières : Pâques, départ en vacances d'été, la Toussaint…, qui dépassaient allègrement chacune les cent morts. Mais personne ne s'en souciait vraiment et il ne serait venue l'idée à quiconque de démoraliser le populo avec de funèbres statistiques. Et chacun prenait joyeusement et allegro la nationale 7 ou tout autre route, insouciant, le sourire aux lèvres, l'esprit déjà illuminé de perspectives de nature, de grands espaces, de senteurs chlorophylliennes... Qu'importe la bagnole, pourvu qu'on ait l'ivresse. L'ivresse de la vitesse à plus de 150 km/heure avec des pneus plus ou moins en savonnettes, des pauses vino dans les vignes divines du Seigneur… Enfin, tout pour être heureux. Et accessoirement monter au ciel en état de flagrante hilarité !
  Mais tout ça, c'est fini. Bien fini, n-i, ni ni !
  L'État, dans tous ses états, a fini par comprendre qu'un mort en plus, en tire, sur la route, c'est une tirelire en moins chez le percepteur. Et branle-bas de combat chez les ponts et chaussées défoncées ou mortelles routes nationales à deux voies et autres pièges à cons. Désormais, lignes blanches puis jaunes qui deviennent vite lignes rouges à ne pas dépasser l'entendement ! Puis, à grands frais, des ronds-points-jardins fleuris au lieu de carrefours-rencontres inopinés avec la mort ! De petites routes fleurant bon la campagne accouchent soudain de jumelles, triplées, quadruples… voies qui, si elles activent le trafic, activent aussi Saint-Fric commis d'office pour vous tendre son escarcelle aux barrière de péage, qui ont remplacé celles de l'octroi de jadis ! Y'a pas à dire, les autoratés y mettent du leur.
  De leur côté, les usines qui n'arrêtent pas d'usiner les cercueils à roulettes, sont priés de faire des tests de crashs avec des mannequins, voire d'anciens vivants (pas forcément musiciens !), pour voir comment ils réagissent dans de plus ou moins grosses caisses transformées en accordéon !
  Enfin, les as comme les fous du volant et même les tout pépères sont, quant à eux, astreints, contraints, tout contrits, à se mettre au garde-à-vous devant toutes sortes de lois, règlements en tous genres.
  Il faut notamment mener régulièrement votre toto à la visite médicale pour contrôler si elle est bien chaussée, son aptitude à freiner des quatre fers si nécessaire, ses gros et petits gneux-gneux blancs et rouges, avant et arrière, le popotin pour qu'il ne dégaze pas n'importe quoi, susceptible d'incommoder l'entourage... Enfin, tout le totim, quoi !
  Et pour vous, personnellement, en matière de sécu, alors là, c'est le pompon ! Vous vous souvenez des slogans "Boire ou conduire, il faut choisir" ou "Un verre, ça va. Trois verres, bonjour les dégâts !" Eh bien, ça ne va sans doute pas tarder à être zéro verre. Malgré les bienfaits du vin reconnus par le corps médical. Par mon corps aussi !... Et le désespoir des terroirs. Encore une mesure démesurée étendue à tous, à cause de quelques-uns qui s'étendent au petit matin, sortant de boîtes, imbibés à mort.
  Et après avoir demandé souvent au peuple de se serrer la ceinture, il faut aussi qu'il la boucle, la ceinture. Et le clapet itou. Enfin… bon, il vaut mieux un petit clic qu'une grande claque quand on embrasse une autre bagnole ou un réverbère !
  Tenez, encore un autre grand credo, l'anti-vitesse, chanté par une Chanterelle Perrichonnette, perchée tous les quatre matins sur les antennes des télés. Avec son masque de souffrance portant toute la misère du monde, elle n'hésite pas, pour un ou deux kilomètres/heure au-dessus de la vitesse autorisée, à crier à la "violence routière" et à traiter les conducteurs de criminels de la route ! Et de harceler les Réputés au Parle-ment pour toujours plus de caméras sur les routes de France et flasher le rire jaune des pigeons voyageurs à leur volant ! A l'entendre, il faudrait réduire l'allure des bagnoles à celle du bon vieux temps des diligences et des carrioles.
  Périchonnette, c'est l'éloge de la lenteur personnifié. Elle est même en passe d'être l'inventrice d'une révolution industrielle : après l'automobile, l'auto-immobile ! Juste à poser devant chez vous, histoire quand même de montrer votre standinge, et qui projette sur les vitres-écrans de jolis paysages. Un genre de simulateur de vol, quoi ! Qui vous permettra de passer d'inoubliables week-ends ! Sans bouger. Donc, enfin bien à l'abri de tout.
  N'empêche, elle ne le sait peut-être pas, mais la belle époque des chevaux comptait quand même près de 15 000 morts par an ! Sait-elle aussi que les accidents à la maison, font, eux, 20 000 morts ! C'est dire si l'endroit est dangereux. Que faire ? Accrocher les gens au plafond, comme des mouches, avec des suspentes de parachute !
  Mais non, Chanterelle, toute activité fait des morts ! Du temps de papy, on se tuait à vélo. Une chute, fracture du crâne et votre p'tite âme s'envolait par la fêlure. On se tue au travail. Mais allez dire ça à votre patron ou à vos clients ! On se tue en faisant l'amour (rappelez-vous Félix Faure et sa "connaissance" éperdue partie par une porte dérobée !) ! On meurt même en dormant ! Mais non, Chanterelle, arrêtez de faire de la vitesse une obsession, pour ne pas dire une fixette ! Penchez-vous aussi un peu sur sur ceux qui n'arrivent pas à dormir au lit, peut-être faute de câlinothérapie le soir, et qui s'endorment, le lendemain, au volant, bourrés… Bourrés de somnifères et autres tranquillisants ! Pensez aussi à ceux qui s'abandonnent dans les bras de l'héroïne de leur choix et autre shoots, qui se retrouvent au paradis, plus vite que prévu. Mais pas forcément celui qu'ils croyaient trouver. Non, Chanterelle, si vous voulez absolument nous protéger de nous-même et nous défendre de mourir, faites comme à la Bourse, diversifiez un peu vos actions !…
  Défense de mourir… Défense de mourir… C'est bien beau. Mais allez dire ça aux 12 000 candidats par an, qui réussissent à raccourcir leur parcours terrestre, tellement ils en ont plein le dos de leur chemin de croix. Il y aurait peut-être une idée à creuser pour soigner leur désespérance, au lieu de les laisser creuser, tout seuls, leur tombe... Tenez, ça ne m'étonnerait guère que nos politiques, grands pourvoyeurs de lois pour résoudre les problèmes, ne tardent pas à en sortir une de derrière les fagots, pour poursuivre les suicidés en justice. Eh oui, rupture unilatérale du contrat à durée indéterminée ! Et hop, retrait illico mortem du permis de conduire... au cimetière ! Condamnés… condamnés à…  A vous de l'imaginer !
  Ceci dit, il faut ajouter que c'est pareil dans tous les domaines. Le citoyen-tirelire doit désormais se soumettre à toutes les recommandations, interdictions de l’État. Comme le gamin devant ses vieux. Pour le protéger à tout prix des dangers de la vie. Par des mesures, normes, lois, décrets pris "à l'insu de son plein gré", comme disait quelqu'un ! Parce que le populo, lui, il demande rien. Rien d'autre qu'on lui foute un brin la paix. Mais les chiffres sont là, les fameuses et fumeuses stats pondues par toutes sortes d'administrations qui ne vous veulent que du bien, bien entendu. Mais qui vous pourrissent la vie en comptant les morts !
  La cigarette est ainsi passée à tabac et n'a pratiquement plus droit de cité nulle part. Au resto, au bureau, en voiture et même chez vous, la clope, après avoir été encensée par d'envoûtante gitanes en volutes, de virils cow-boys en chevauchées fantastiques…, la clope est mise au ban, bannie de la société, devenue désormais tueuse en série… que dis-je, génocidaire ! Et l'on fait tout pour la griller. Par les images cata de son paquet et par son prix, en passe de rattraper celui du shit !
  Enfin, l'ultime mesure : vous empêcher de rendre l'âme quand le corps est prêt à rendre les armes. C'est fou ce que le corps médical s'acharne, avec toute sa techno et les finances de la Sécu déjà en déroute, à vous forcer à faire encore un brin de route sur le chemin du calvaire. Alors que vous êtes vraiment, mais vraiment au bout du bout du rouleau !
  Ainsi, à force de vouloir à tout prix préserver la vie, on a inventé le sacro-saint principe de précaution. Le principe de précaution, la Sainte Bible avec ses chapitres, ses épîtres, ses paraboles, ses versets, ses sourates…, qui vous chapitrent sur le seul droit chemin à suivre pour vivre. Ou plutôt pour survivre aux mille dangers de la vie. C'est-à-dire à devenir frileux, précautionneux, tremblant comme un parkinsonien, hésitant à chaque instant à choisir entre un truc et un machin, un chemin et une route, entre Julie et Juliette… ! Bref, à avoir peur de tout. Et n'oser plus rien.
  Enveloppés comme ça, dans le coton de mille précautions, je me demande comment vont oser naître des Christophe Colomb, des Lindbergh, des Mermoz…, et autres défricheurs d'inconnu !
  Et à vouloir nous faire vivre à tout prix, on risque de finir... par mourir d'ennui !

© Jacques Guilloreau
Eclats de voix

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