9 - De la terre aux étoiles - Je me raconte

Publié le par Jacques Guilloreau

Entre mers et océan
   Mai 1992, direction grand Ouest. L'un des frères et la sœur de Monique possédant un studio à la résidence Pierre et Vacances à Cap Estérel, dans le Var, disposent d'un crédit de semaines qu'ils peuvent passer dans d'autres résidences de cet organisme. Ne les utilisant pas toujours, ils nous en font bénéficier. D'où notre séjour sur la côte Atlantique à Port du Crouesty, dans le Morbihan, près du golfe du même nom. Ce petit port de plaisance abrite également le centre de thalassothérapie créé par l'ancien champion cycliste Louison Bobet. Promenades dans les environs à Port-Navalo, Arzon… Visite du château de Scucinio, du 13e siècle, entouré de douves, en cours de restauration.
 
   Juin 1992, cap sur le Roussillon. Etape à quelques kilomètres du viaduc de Garabit, à l'Hôtel moderne de Ruynes-en-Margeride, dans le Cantal, en pleine Margeride. Un pays assez austère de grandes pâtures et de bois, hérissé de rochers. Une terre qui se prête volontiers aux légendes…
   Le lendemain, en nous dirigeant vers le mont Mouchet, important centre de la Résistance, nous tombons en pleine cérémonie de commémoration, avec la venue attendue de Michel Charasse, ministre et élu local, et passons doucement entre deux colonnes de martiaux parachutistes armés de pistolets-mitrailleurs !  J'ai beau me dire qu'ils sont des nôtres, un petit frisson me parcourt la colonne vertébrale…
   C'est sous la pluie battante d'un orage qui inonde la route et les rues que nous découvrons le Barcarès, son côté village, avec sa petite église sur la place, son petit port… A ne pas confondre avec Port-Barcarès, la cité-champignon-béton plantée dans les sables de la côte languedocienne pour attirer "les mâââsses populaires", comme dit Georges Marchais !  Nous trouvons refuge dans une mini-chambre (la dernière disponible !) de l'hôtel Casa blanca. Eprouvés par les conditions de notre fin de parcours, nous ne faisons pas la fine bouche. Le lendemain, munis d'une liste d'appartements à louer, fournie par l'office du tourisme, nous en trouvons un proposé par des agriculteurs, dans un petit immeuble d'un étage, rue du Levant, un rez-de-chaussée disposant d'un espace devant, séparé de la rue par un muret et une haie de lauriers. Une rue s'avérant cependant un peu passante !
   Visite du fort de Salses, du 15e siècle, édifié par les Espagnols, revu et corrigé par Vauban, dont le mur d'enceinte atteint 9 mètres d'épaisseur ! Excursion jusqu'au château médiéval de Peyrepertuse, dans l'Aude, construit sur un éperon vertigineux de plus de 700 mètres d'altitude. Passage, au retour, par le village de Cucugnan popularisé par l'une des nouvelles des Lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet, contant la fameuse histoire du sermon du Curé de Cucugnan !
 
   Août 1992, lors de ma première visite à la famille de Monique à Dunkerque, je découvre le port, ses darses, ses formes de radoub où je vois notamment le paquebot Mermoz, des cargos dont le Rio Negro, un autre avec le flanc littéralement éventré, d'autres en état d'oxydation avancé… Ambiance à la fois portuaire et industrielle avec la présence de chantiers navals, d'installations pétrochimiques, d'usines sidérurgiques… Visite aussi du centre ville : l'incontournable place Jean-Bart et la statue du célèbre corsaire, le beffroi de près de 60 mètres, du 13e siècle, l'hôtel de ville en briques rouges et son beffroi encore plus haut, de 75 mètres, l'église Saint-Eloi aux allures de cathédrale…
 
   Septembre 1992, retour sur la Costa Brava et escale à l'Escala, juste à une trentaine de kilomètres au sud de Roses. Nous nous installons au camping L'Escala tenu par un sympathique polyglotte, légèrement en rondeur, qui nous loue un studio dans un petit ensemble d'une quinzaine d'unités, constituant une sorte de mini-motel construit sur l'un des côtés du terrain. Décor privilégiant le bois de pin sur fond blanc, terrasse plein soleil où nous prenons nos repas. Petit inconvénient, plutôt curieux d'ailleurs : le craquement de la charpente, la nuit !  Nous sommes les seuls à signaler ce phénomène. Esprit, es-tu là ? (!). Visite dans les environs du site des Empuries, ruines grecques et romaines, et aussi de la punta del Mila où subsistent des batteries d'artillerie de l'époque franquiste. Séances de plage à la calla de Mongó.
 
   Mai 1993, me revoilà au Croisic. L'un des frères de Monique a des amis qui possèdent une maison juste à la limite de Batz-sur-Mer, au parc de Beaulieu. Comme ce couple, Paul, un ancien militaire, et Doumé sont la plupart du temps aux Antilles ou ailleurs, ils laissent leur résidence principale à disposition des parents ou amis de leurs amis. Ainsi commençons-nous à fréquenter, une ou deux fois par an, cette demeure qui nous plaît beaucoup, au point que nous nous y sentons presque chez nous. Un petit terrain derrière permet d'y prendre les repas ou des bains de soleil, à l'abri du vent. L'environnement est lui aussi agréable, en bordure des marais salants de Guérande. De là, durant nos séjours, nous rayonnons, au nord, vers le port de pêche de la Turballe, Piriac… Au sud, vers le Pouliguen, Saint-Nazaire et ses célèbres chantiers navals ainsi que son ancienne base sous-marine, la chic la Baule où, un jour, je vais saluer un ancien copain de l'armée, José Ortiz, qui tient une grande confiserie sur le front de mer.
   Nous allons nous étendre sur la plage Saint-Vanlentin où, en cas de brise, sur les petites plages plus abritées de Saint-Michel ou de Port-Lin. Nous allons aussi marcher, empruntant le chemin dit des douaniers, jusqu'au grand blockhaus construit par les Allemands, lors de la Seconde Guerre mondiale, et transformé en un intéressant musée retraçant la vie en ce lieu et les événements de cette époque. Parfois, par temps franchement maussade, nous bouquinons dans la voiture, face à la Côte Sauvage, notamment près de l'hôtel Fort de l'océan.
   A la fois port de pêche et de plaisance, jouissant d'une situation semi-insulaire, le Croisic présente beaucoup de charme et, en saison, reste animé assez tard, offrant beaucoup de boutiques, restaurants, crêperies… Nous avons une prédilection pour quelques-uns tels que Au fin gourmet, place du Pilori, L'Estacade, quai du Lénigo, Le Grain blanc, place Donatien-Lepré, La Chaloupe, quai de la Petite Chambre… Nous apprécions aussi les diverses expositions qui ont lieu à l'ancienne criée. Et réjouissance esthétique, surtout pour les yeux des photographes : la réfection des rue entreprise par le maire, M. Priou (assez souvent interviewé à la télé !), a effacé toutes traces de poteaux et câbles électriques ou téléphoniques !
 
   Juin 1993, "Viva Espagna", de nouveau !  Et nous amerrissons à Tossa de Mar, 70-80 kilomètres au sud de l'Escala. A ce train-là, il nous faudrait encore quelques années pour atteindre Barcelone !  Nous trouvons nous-mêmes, un peu par hasard en naviguant à vue dans notre quatre-roues, un studio avec petite terrasse, dans un ensemble de maisonnettes insérées dans un cadre de verdure, la résidence Sa Gabarra. Nous apprécions particulièrement la piscine mise gratuitement à la disposition des résidents et dont nous usons largement une ou deux fois par jour. Nous allons aussi dérouler nos nattes sur le sable doré et brûlant de la cala Llorell… Balades dans la vieille ville qui a conservé ses remparts, découverte de la baie, de ses promontoires dominant des criques, de l'Ermitage Sant Grau dans les environs… Poussée au sud jusqu'à Lloret de Mar. Mais là, consternation : une immense plage-fourmilière bordée d'un mur d'hôtels de béton !
   En remontant vers Paris, nous nous accordons une nuit à Besse-en-Chandesse, dans le Puy-de-Dôme, à l'Hôtel du Levant.
 
   Septembre 1993, tout près de la quille de ma vie professionnelle, je profite pour la première et dernière fois des avantages du comité d'entreprise de Solvay, en partant en vacances avec Maeva qui lui consent des conditions spéciales. Direction Sanary-sur-Mer, dans le Var, entre Bandol et Toulon. Dans cette résidence à l'écart du bruit, au nord de la ville, notre home ouvre sur une pinède. Curieusement, un compagnon félidé, gris tigré, s'impose parmi nous malgré la réticence que j'éprouve, au début, à l'accueillir. Il joue tour à tour de son charme et d'une sorte d'autorité qui lui semble naturelle, pour obtenir ce qu'il souhaite. Pour un peu, il ouvrirait lui-même le frigidaire pour se servir !  Et il faut le voir aussi improviser une danse de séduction auprès d'une femelle, par des séries de petits sauts latéraux (des entrechats, évidemment !), tout en la soumettant à son machisme. Il ne lui permet en effet de s'approcher du contenu de son assiette qu'après en avoir largement profité !  Jamais connu un tel comportement chez un chat, un animal que j'ai pourtant eu le loisir d'observer, durant toute ma jeunesse à la ferme.
   Excursions au Gros Cerveau offrant un panorama sur la côte. Parois abruptes des grès de Sainte-Anne, défiées par quelques alpinistes qui me donnent le vertige !  Village perché d'Evenos avec, à proximité, la barre des Aiguilles. Les Sablettes où je ne retrouve pas le camping dans la pinède où j'ai planté ma tente dans les années 60 !...  Presqu'île de Saint-Mandrier et sa base aéronavale. Montée spectaculaire au mont Faron avec vue totale sur la rade et le port de Toulon.

 
 Dop(é) !
   A la suite du départ de Caroline Gervereau, en 1991, et de M. Marq, M. Laporte nous présente, en 1992, Geneviève Basset-Chercot qui prend en main la Communication. Une femme brune, la quarantaine, de l'expérience  dans ce domaine, chez qui je crois discerner d'emblée une forte personnalité. Si nous pouvons effectivement l'appeler Geneviève, elle n'en montre pas moins rapidement qu'elle est la patronne, avec une exigence dans la qualité de nos prestations, les délais d'exécution… Ce qui l'amène à remonter les bretelles à certains qui avaient tendance à ronronner dans une ambiance à la papa !  Et si Jean-Paul, dans les premiers temps, joue de son charme auprès d'elle, en lui parlant de ses relations, de sa propriété sur la côte…, il ne fait pas longtemps illusion et commence à souffrir. Pour ma part, j'entretiens de bons rapports avec elle qui semble apprécier ce que je propose. En fait, j'aime bien travailler avec de vrais pros, exigeants peut-être, mais de grandes pointures qui sont en mesure de juger, d'apporter des corrections fondées et vous faire évoluer.
 
   Mais en matière d'évolution, je suis toujours bloqué à un coefficient loin de celui habituellement attribué, pour la même fonction, dans les entreprises de pub. J'adhère d'abord à la CGC (Confédération générale des cadres) pour tenter d'y recueillir quelque information et un éventuel appui. Démarche sans intérêt. En désespoir de cause et ne risquant plus grand-chose, je soumets ma situation en juillet 1992 à l'Inspection du travail, rue Taitbout, histoire de titiller un peu la direction du Personnel !  Cette administration adresse effectivement un courrier à mon employeur évidemment étonné de ma démarche, mais qui, comme toujours, argue que nous relevons de la Convention collective des industries chimiques, laquelle naturellement ne prévoit nulle part ma fonction. Retour case départ !  L'inspecteur du travail m'invite à engager une action devant le conseil des prud'hommes. Je vois cependant poindre mes 42 ans d'activité et la soixantaine !  Plus rien à démontrer dans le cadre de l'entreprise ni à espérer. Rien à gagner non plus sur le plan de la retraite. Alors je devance l'appel. De neuf mois. Tiens !  Le temps d'une gestation. C'est bien le temps qu'il me faut pour me préparer à une re-naissance.
   Et le 31 octobre 1993, c'est mon jour J. Le débarquement sur les plages de la Liberté. Une curieuse île ne figurant sur aucune carte, mais occupant tout l'espace où se prélassent des millions de gens libérés des contingences de la vie active. Des gens qui n'ont plus à se forcer à ouvrir les yeux à potron-minet et à affronter la grisaille matinale pour une journée parfois de galère. Des gens qui peuvent désormais choisir l'activité de leur rêve d'ado. Des gens qui peuvent vivre de leurs rentes !  Comme les milliardaires !  Mais parfois aussi avec l'équivalent d'un Smic !
   Ce jour-là, pour une fois, je suis la vedette. Mais malheureusement pas au mieux de ma forme. Quelques jours avant, j'ai dû appeler SOS Médecins, boulevard de Port-Royal, pour une très forte douleur abdominale droite. Suspicion de colique néphrétique. Une échographie pratiquée au Centre de radiologie, place du Commerce, ne fait apparaître aucun élément pathologique. En revanche, une analyse des urines du Laboratoire Funel, rue Lecourbe, révèle la présence, une fois encore, d'Escherichia coli. Je suis donc en pleine phase de traitement, sous Bactrim, encore fiévreux me semble-t-il. Et fébrile par l'exceptionnalité de l'événement. En fait, fiévreusement fébrile !
   L'équipe de la Com est réunie autour de moi. J'ai invité à se joindre à nous quelques collaboratrices extérieures au service, dont la séduisante et séductrice rousse Nicole Révérend du Mesnil, la sculpturale brune Evelyne Pouillieute, qui décryptent et transcrivent régulièrement la belle écriture illisible (!) de mes brouillons en pages dactylographiées !  M. Laporte y va de son petit discours élogieux, évoquant mon professionnalisme, l'éclectisme de mes connaissances, mon esprit poétique aussi… Christian ajoute quelques paroles. Ils peuvent bien maintenant m'encenser, je ne risque plus de leur parler de mon coeff !  Geneviève me regrette carrément, disant sans rire "Vous nous laissez dans l'embarras et je me demande qui va essayer de se plonger dans des dossiers aussi ardus ?". Ce à quoi je m'empresse de lui déclarer, reprenant l'esprit d'Alphonse Allais : Vous savez, les cimetières sont remplis de gens indispensables !". Yves Manier, l'œil rivé à son caméscope, enregistre ce moment mémorable.
   Je tire alors de la veste intérieure de mon veston, suscitant un "ah !" de contentement, un laïus formaté montre en main, avertissant mon auditoire : "Sept minutes… Mais enfin, c'est juste tous les trente ans !". Et je conte, dans un style genre chansonnier le parcours terrestre de "L'homme des champs", notamment chez Solvay. Réglant, mais gentiment seulement, quelques comptes au passage… Applaudissements à la fin de mon intervention. Je regrette tout de même l'absence de Jean-Paul, parti en vacances. Mais comme j'ai prévu une copie dactylographiée pour chacun, je prends soin de lui en déposer une sur son bureau !
   On m'invite à déflorer les emballages de mes cadeaux : un coffret de stylos Waterman, une encyclopédie Larousse de la nature. Remerciements. J'invite à mon tour à partager quelques bouteilles de champagne accompagnés des petits fours traditionnels, préparés par le restaurant d'entreprise, mais réglés de mes deniers. Plaisanteries, rires, souvenirs… Et je suis fin prêt à prendre la clef des champs !  Je suis désormais un DOP(é), Dégagé des Obligations Professionnelles !
   Mais je ne suis pas pour autant de ceux qui ont vécu toute leur carrière chez Solvay et que nous ne revoyons jamais aux pots de fin d'année. Non, j'ai bien l'intention de revoir non seulement les anciens, mais aussi ceux restés en activité et avec qui j'ai toujours eu de bonnes relations.
 
   Certains reçoivent mal cette cessation d'activité, la percevant comme une mise à l'écart de la société, voire une mise au rancart. Surtout, peut-être, les membres du personnel d'encadrement habitués à exercer une autorité, un commandement sur d'autres, à être entourés d'une petite cour attentive et dévouée. Et qui se retrouvent en face à face permanent avec leur seul(e) épouse ou mari !  Pas toujours disposé(e) à s'en laisser imposer !  Moi, pas de problème de ce côté. Si ma fonction m'amenait à œuvrer en équipe, elle m'a habitué à concevoir en solitaire, dans le bureau d'études de mon imaginaire.
   Et je ne tarde pas à me remettre à l'ouvrage, mais dans un tout autre registre !  Je fais d'abord l'acquisition, chez Duriez, boulevard Haussmann, d'une machine de traitement de texte Brother LW-35 qui dispose d'un écran à cristaux liquides et permet d'enregistrer à l'infini des fichiers sur disquette 3,5" de 750 Ko (pour les connaisseurs !). Et dans la foulée, petite initiation à l'informatique avec sa brochure d'une centaine de pages !
   J'entreprends alors un travail au long cours. Transcrire mes textes, manuscrits ou déjà dactylographiés par Solange, les modifier et surtout en écrire de nouveaux, en élargissant mes formes d'expression. De la poésie de genre plutôt didactique et "figurative", dont j'intitule l'ensemble Cris écrits, permettant d'évacuer mes états d'âme, je passe à l'écriture d'esquisses de chansons, Paroles sur mesure. Après avoir lu nombre de textes des grands interprètes et auteurs contemporains et quelques bouquins comme le Dictionnaire de poétique de Michèle Aquin, Le Moulin du parolier de Michel Arbatz… La chanson, un art mineur, certes, mais qui exige de la rigueur pour respecter les règles de la métrique, vous amenant à compter vos pieds sur vos doigts !  Sans être comptable pour autant, n'en déplaise au grand Léo Ferré.
   Je traduis aussi nos travers et nos maux au travers des mots, adhérant au parti d'en rire plutôt que d'en pleurer. Et je trouve cela assez jubilatoire d'écrire des sketches, Prêts-textes à rire, dans lesquels je peux me lâcher tout à loisir !  Je formule aussi nombres de truismes, Evidentes vérités, sortes de lapidaires lapalissades, rimées pour être facilement mémorisées. Nourri de lectures de bouquins et de revues de vulgarisation scientifique ainsi que de romans fantastiques, je laisse mon esprit s'évader vers les infinis de l'espace et du temps dans Nouvelles d'ailleurs. Je m'engage aussi dans quelques articles, Eclats de voix, ou correspondances, En toutes lettres, adressées à des personnalités ou organismes divers, lorsque certains sujets m'interpellent plus particulièrement.

 
 Evasions hexagonales
   Juin 1994, un autre frère de Monique et son épouse nous proposent leur appartement de Port-Grimaud, près de Saint-Tropez. Je connais l'endroit pour y être déjà passé, mais je ne pensais jamais venir y séjourner. Bien que construite de toutes pièces dans les années 1960 sur un marécage, cette petite Venise avec ses canaux, ses maisons inspirées de celles des pêcheurs, dégage un indéniable charme.
   Nous allons une fois ou deux nous restaurer, sur recommandation, au Jardin de la mer, offrant des poissons grillée à prix doux. Jolies balades dans la région. L'incontournable Saint-Tropez, bien sûr, qui, en cette période pré-estivale, est tout à fait vivable, encore en majeure partie aux mains des autochtones !  Mais, là aussi, je connais déjà. Et c'est toujours à peu près les mêmes clichés. Visites du village perché de Grimaud, les imposantes ruines de son château semi-démantelé, son moulin restauré. Gassin, autre village provençal avec son entrelacs de ruelles, parfois à escaliers, et de sa terrasse avec vue sur la côte. Revisite, pour moi, de Ramatuelle.
 
   Septembre 1994, objectif : l'Ardèche. Après une nuit passée au Relais des oliviers, place de la Poste, à Lablachère, nous trouvons à nous fixer dans une maison partagée en deux gîtes, louée par des viticulteurs qui habitent à quelques centaines de mètres en contrebas. Nous disposons d'une grande terrasse offrant une superbe vue sur les vignes prêtes à être vendangées, le bourg sur fond grisé de montagnes à l'horizon. Malheureusement, nous n'en profiterons qu'une ou deux fois, tant le temps se montre détestable. Au point que nos viticulteurs craignent leurs vendanges compromises. Le soir, ce n'est pas vraiment un plaisir de prendre la douche par cette température. Nous bénéficions d'une seule belle journée ensoleillée que nous saisissons pour découvrir les gorges de l'Ardèche, de Vallon-Pont-d'Arc à Saint-Martin-d'Ardèche où nous déjeunons à l'Hôtel des touristes. Quelques excursions tout de même sous ciel plombé. Largentière, son dédale de vieilles rues pentues, parfois à degrés. Balazuc, dominé par son église romane, avec, à proximité, l'entrée des gorges de la Ligne et ses hautes falaises stratifiées, vrai décor de western !  Labeaume, sa fontaine sur une petite place, son pont à arcades sans parapet, ses maisons accrochées aux rochers creusés de grottes ou même juchées tout au sommet !  Samzon, son rocher permettant de jouir d'une perspective sur tout le village, avec la vallée en arrière-plan…
   Nous assurons l'intendance au supermarché Champion de Joyeuse. Mais ce n'est pas de joyeuses vacances pour autant !
 
   Septembre 1994, cabotage le long des côtes de la Manche : cap Blanc-Nez, cap Gris-Nez qui n'a pas du tout grise mine sous le soleil !  Superbes vues sur le damier coloré des champs et le village d'Escalles. Rapide escale à la station balnéaire de Wimereux et sa guirlande de cabines familiales bordant la plage. Visite d'Hardinghen, un gros bourg du Pas-de-Calais, où a vécu Monique dans sa jeunesse et où nombre de membres de sa famille sont inhumés. Elle me montre l'ancienne maison familiale, place dite du Communal , l'ex-pensionnat de la Maison dominicaine et son parc, rue de la Verrerie… Nous allons prendre une consommation Au Lion d'or, un café-billard-restaurant avec poutres apparentes et chaleur du bois, en face de l'église.
 
   Mai 1995, Carnac, dans le Morbihan. Nous louons un studio à la résidence Ty Bian, une réalisation récente confortable, mais un peu déserte à cette période de l'année. Ce qui ne peut échapper ici, même au voyageur le plus pressé, ce sont bien les fameux alignements de mégalithes !  Ceux du Menec et de Kermario comptant chacun plus de 1000 menhirs alignés sur plus d'un kilomètre et vieux approximativement de 5000 ans. Impressionnant. Les Egyptiens, à cette époque, avaient cependant une pierre d'avance et construisaient déjà des pyramides dont certaines atteignaient presque 150 mètres de hauteur !… Balades à la Trinité-sur-Mer, haut lieu de la voile, où viennent mouiller de grands navigateurs, à la presqu'île de Quiberon qui me rappelle un laborieux embarquement pour Belle-Isle-en-Mer, quelques années plus tôt.
 
   Juin 1995, je fais découvrir le plateau du Vercors à Monique. Sympathique étape dans un gîte à la ferme, près de Saint-Aignan-en-Vercors, qui dispose de chambres et d'un dortoir pour les randonneurs. Nous allons dîner au centre du village, au Veymont. Balade dans Villard-de-Lans, capitale touristique du Vercors, qui cultive l'image légendaire de l'ours par une statue qui lui est dédiée, au centre de la localité. Un fois de plus, je m'émerveille à la sortie du tunnel du col du Rousset, de cette vue panoramique plongeante vers la vallée, de ces vertigineux lacets de la route…
   Etape à Nyons, dans la Drôme, avec son vieux pont roman en dos d'âne, formant une spectaculaire arche de 40 mètres. Nous dormons dans un charmant gîte de France, La Ritournelle, une maison aux volets bleus avec des tables sous les arbres. Nous dînons, après quelques tergiversations, à La Belle époque, place de la Libération, au centre ville, très animé l'après-midi, mais peu le soir et presque exclusivement par des maghrébins. Dépaysement assuré.
   Nous gravissons les pentes dénudées du venté et frisquet mont Ventoux. Je m'arrête devant une stèle érigée à la mémoire de Tom Simpson, un coureur cycliste britannique mort ici en 1967, lors d'une étape du Tour de France.
   Nous cherchons vainement un point de chute dans le Lubéron, visitant rapidement les villages en les traversant : Lacoste dominé par les ruines du château du marquis de Sade, Bonnieux, Cucuron… Mais ce beau pays est devenu cher, fréquenté, paraît-il, par quelques élites de la gauche embourgeoisée argentée, qui ont investi ici dans quelques propriétés !
   Passant notre chemin, nous installons nos quartiers à Forcalquier, dans le Vaucluse. D'abord dans une ferme-auberge, le Bas-Chalus, tenue par la famille Goletto. Nous ne pouvons disposer que d'une chambre dans un ancien moulin, en contrebas de la ferme, mais donnant directement sur une petite piscine et dans un cadre qui nous plaît beaucoup. Petits-déjeuners et dîners à la ferme, à la table d'hôte dans une ambiance conviviale. La fille de la maison pratique le judo de compétition et est d'ailleurs venue combattre à Paris, au stade Pierre-de-Coubertin. Petite anecdote, son père nous rapporte qu'à l'occasion de l'un de ses anniversaires, ayant organisé une démonstration à la ferme, elle avait malencontreusement démoli l'épaule de son professeur !…
   Cette location étant cependant retenue la semaine suivante, nous sommes obligés de partir. Nous restons tout de même à Forcalquier, allée Bella-Vista, dans un studio avec terrasse, attenant à la maison des propriétaires, mais indépendant et, cerise sur le gâteau, donnant sur un petit verger planté… de cerisiers en pleine saison de production !
   Durant ce séjour, nous allons, un soir, écouter un concert de gospels à l'église Notre-Dame. Excursions à Manosque et sa vieille ville, patrie de l'auteur Jean Giono. Lurs sur son éperon rocheux dominant la Durance, théâtre d'un drame, en 1952, qui avait fait la une de la presse et bouleversé la France, l'assassinat d'une famille britannique, les Drummond, au lieu-dit la Grande-Terre, sur les bords de la route nationale 96. Je m'y arrête un moment, encore ému par cette mystérieuse affaire qui remonte pourtant à bientôt un demi-siècle, mais qui m'avait vraiment marqué. Montée au monastère de Ganobie sur le plateau du même nom qui, du haut de ses 350 mètres, permet au regard de s'envoler au-dessus de la vallée de la Durance. Visite de l'observatoire de Haute-Provence, à Saint-Michel-l'Observatoire, qui abrite des instruments astronomiques parmi les plus grands d'Europe, notamment un télescope de près de deux mètres de diamètre.

 
 Incident de circulation
   Septembre 1995, nous revenons au Barcarès. Cette fois, par l'intermédiaire d'Agences N° 1, nous louons rapidement un deux-pièces en rez-de-chaussée avec terrasse entourée de lauriers-roses, dans un petit ensemble moderne, les Brigantines, près du port où nous allons nous balader le soir. Curieusement, Solange, elle, se trouve au même moment dans un centre de rééducation, près de Saint-Raphaël, face à un immeuble nommé le Brigantin !
   Nous croisons dans la région : étang de Canet, Port-Vendres, Banyuls-sur-Mer, Gruissan, musée préhistorique de Tautavel, site sur lequel a été découvert, entre autres restes humains, un crâne datant de 450 000 ans environ !
 
   Décembre 1995, incident de circulation. Sanguine. Ce qui est préférable à sanglante !  Mais ce n'est tout de même pas à négliger. Depuis quelque temps, je ne me sens pas très bien lors d'une station debout prolongée, dans une file d'attente au cinéma, par exemple. Je ressens également, le soir, en m'allongeant dans le lit, des fourmillements à l'extrémité des pieds. A l'issue d'un examen de sang demandé par le Dr Russo, toujours effectué par le laboratoire du Dr Haas, je me découvre avec surprise un taux de cholestérol dépassant les 3,20 grammes/litre et les triglycérides au-dessus des 2,40 grammes. Wouah ! "Si je ne l'avais pas vu, je ne l'aurais pas cru", comme on dit communément. Mon bon docteur me propose classiquement un dérivé des fibrates type Lipanthyl ou Lipanor ou mieux, apparu plus récemment sur le marché, une statine genre Zocor. Mais j'ai rapidement étudié le "dossier" et je lui contre-propose de surtout changer mon régime alimentaire !
   Ayant souvent lu que les abats sont particulièrement riches en vitamines et oligo-éléments, je me suis laissé aller à cuisiner de délicieux petits plats de foies et gésiers de volailles, rognons d'agneau, foie de génisse…, j'en passe et des meilleures !  Désormais, c'est viande blanche et poisson en priorité, cuits au gril, au four ou à la poêle avec, pour seule matière grasse, de la margarine allégée type Fruit d'or pro-activ. Quant au reste, produits laitiers écrémés, légumes verts à "l'auto-rapido-cuiseur" Seb et fruits toujours en quantité. Jamais ou exceptionnellement de plats cuisinés qui contiennent trop de sel, de sauces, de produits chimiques (conservateurs, colorants, exhausteurs de goût…), peu de pâtisseries mis à part tartes aux fruits. Et je complète cette diététique naturellement réjouissante et goûteuse (eh oui !) par des cures de lécithine de soja en gélules, qui, d'après les manuels de phytothérapie, possède entre autres la propriété de prévenir la formation de plaques d'athéromes sur la paroi des artères.
   Effectivement, je réussis au cours du temps à diminuer progressivement mes taux de cholestérol et de triglycérides, qui se situent respectivement autour de 2,25 grammes/litre et 1 gramme/litre, quelques années plus tard. Sans médicament !
   Bien entendu, comme pour l'entretien de ma voiture à la station Midas, je soumets ma carrosserie à une visite générale annuelle au cabinet du Dr Russo qui me fait procéder à une analyse assez complète de sang comprenant, outre ces deux éléments, un contrôle du taux de PSA (antigène spécifique prostatique), indicateur du cancer de la prostate, l'une des maladies propre à l'homme à partir de 50 ans.
 
   Mai 1996, nous jetons l'ancre à Tharon-Plage, en Loire-Atlantique, au sud de Saint-Nazaire. Une bourgade tranquille en bordure de mer, des maisons abritées dans les pins, un alignement de cabanes sur pilotis, munies d'un filet pour la pêche, les carrelets, d'aspect très graphique dans le couchant. Location chez des gens sympa, en rez-de-jardin, mais moins ensoleillée que prévu et parfois un peu frisquette. Cabotage en voiture le long de la côte : Saint-Michel-Chef-Chef où Solange a été évacuée ici, dans les années 1940, lors des risques de bombardement de Nantes. Pornic, station balnéaire et petit port de pêche, avec l'un des châteaux du sombre personnage Gilles de Rais, surnommé Barbe-Bleue, à la fois compagnon de combat de Jeanne d'Arc et pédophile sanguinaire présumé.
 
   Juin 1996, Nous entamons un périple sur la côte de Haute-Normandie : Rouen, déjà arpentée plusieurs fois au cours de ma vie, chargée d'Histoire, avec notamment sa place du Vieux-Marché dont les aménagements m'empêchent de reconnaître les lieux. Etretat, vue et revue depuis ma jeunesse, ses falaises, sa plage de galets, Fécamp, ancienne capitale des terre-neuvas. Veulettes, Veules-les-Roses, deux petites stations balnéaires nichées chacune au fond d'un vallon verdoyant, de part et d'autre de Saint-Valéry-en Caux, port de pêche où nous faisons étape à l'hôtel Les Remparts. A l'intérieur, des fresques murales évoquent le malheureux essai de débarquement des Alliés en 1942. Dieppe, port de pêche, de commerce, de plaisance, avec son château à flanc de falaise, sa place du Puits-Salé…, et son restaurant Les Tourelles, rue du Commandant-Fayol, où nous déjeunons. Le Tréport, port de pêche, de commerce et station, sa plage dominée par une haute falaise, sa brochette de restaurants, quai François-1er . "Vos gueules, les mouettes !", pourrait-on s'écrier devant ces effrontés volatiles qui viennent voler au-dessus de votre assiette tenter de voler votre pitance !  Jamais rien vu de pareil. En face, sur l'autre rive de la Bresle, la ville-sœur, Mers-les Bains, plus réservée, avec ses résidences de style Belle Epoque. Puis le Crotoy, Fort-Mahon et son unique avenue rectiligne qui me fait penser à la rue principale d'un village de western !  Berck-sur-Mer, que je connais depuis les années 1970, réputée pour ses établissements hospitaliers, dont l'Institut Calot, traitant les maladies osseuses. Mais nous interrompons là notre parcours sur le littoral de la Manche. Monique apprend au téléphone que sa mère, atteinte d'une grave maladie, est au plus mal. Nous rejoignons donc Dunkerque au plus vite. Elle décède effectivement quelques jours plus tard.
 
   Septembre 1996, nous "héritons" d'une semaine à la résidence Pierre et Vacances de Pramousquier, dans le Var. Un lieu agréable avec un grand jardin composé de palmiers et de plantes méditerranéennes, descendant jusqu'à la mer. Nous nous amusons beaucoup, sur la plage, de l'enthousiasme, du jeu et de son effet dévastateur auprès des estivants d'un super-vendeur de beignets qu'il prétend "diététiques" ! Un vrai spectacle. Et qui cartonne. Il devrait faire son chemin, ce garçon !
   En fin de semaine, une amorce de crise de sciatique me cloue en position allongée, alors que l'on devrait chercher une location pour la semaine suivante. Monique se débrouille comme une chef et en trouve une juste en face, à la résidence Les Pescadières, par l'intermédiaire du gardien. Un studio en rez-de-chaussée avec terrasse ensoleillée et une piscine à disposition, mais un peu fraîche cependant !
   Balades au col du Canadel, à Cavalière, au Lavandou, Bormes-les-Mimosas… Du déjà vu pour moi, mais c'est toujours agréable.

 
 Cœur en berne
   En cette année1996, un événement me marque profondément, je dois l'avouer. Un jour, passant près de l'hôpital Necker, je rentre dire bonjour à Lucie au service de néphrologie où elle est affectée maintenant au secrétariat. Nous allons boire un pot à la cafétéria et en cours de remontée au quatrième étage dans le monte-charge, elle me confie, les larmes aux yeux, qu'on lui a décelé un cancer du rein. Quelque temps après, elle subit effectivement l'ablation de l'organe malade. Je vais la voir une fois en maison de repos, au Prieuré, à Avon, en Seine-et-Marne, une localité insérée dans la forêt de Fontainebleau. Nous allons boire un café et nous promener à Barbizon, un bourg plein de charme, très fréquenté à une époque par les peintres paysagistes…
   Elle semble ensuite se rétablir normalement. Mais la maladie la rattrape et elle est soumise à plusieurs chimiothérapies qui l'éprouvent beaucoup. Elle porte ensuite un cathéter en permanence près de l'épaule droite. Je l'accompagne, un matin de juin, passer un scanner au Centre d'Imagerie RMX, avenue Félix-Faure. Elle me montre des excroissances osseuses qui lui sont apparues en haut du thorax. En sortant, l'après-midi, nous dégustons deux tartes normandes à la terrasse ensoleillée du restaurant espagnol, à l'angle de la rue Tisserand.
   Courant août, elle me passe un coup de fil me disant que Sylvie, sa fille, souhaite me voir pour la conseiller en matière de classement photo, car elle pratique aussi, superbement équipée en matériel Nikon. Je vais donc rue Singer, dans le 16e, où elle occupe un duplex avec terrasses. Je connais déjà cet appartement pour y être allé lorsque Lucie m'avait demandé, un jour, de conduire la Mini Austin qu'elle s'était achetée, pour la garer dans le parking de Sylvie.
   Dieu, que Lucie a changé en peu de temps. Toujours impeccable, mais elle flotte littéralement dans son tailleur prince de galles. Je ne peux m'empêcher de penser à ces images, mille fois vues, de ces malheureux déportés des camps de concentration nazis. Je comprends que cet appel téléphonique n'est qu'un prétexte pour me voir. Elle se bat courageusement. Depuis cinq ans. Mais je ne peux que me rendre à l'évidence. A moins d'un miracle, elle est en passe de perdre. A l'issue de cette visite, elle tient à rentrer chez elle. A pied. Je lui propose de prendre un taxi. Mais non. Je l'invite à prendre mon bras et nous nous acheminons, sous le soleil d'août, vers chez elle. Je ne sais pourquoi, presque arrivés, je la laisse continuer seule, avec son petit compagnon canin, à l'angle des rues de la Convention et du Commandant-Léandri. Je l'attire contre moi, l'embrasse doucement sur le front, dans les cheveux et la regarde s'éloigner, la démarche fragile mais volontaire. Dernière image de la dernière séquence. Je ne la reverrai jamais.
   Un soir de novembre, Sylvie m'appelle chez moi. Elle prend l'avion au plus tôt avec un ami. Lucie est hospitalisée à l'hôpital de Montpellier, elle est au plus mal. Le lendemain soir, tard, Sylvie me rappelle. Elle n'a même pas eu la possibilité de lui parler, elle a vu seulement des larmes couler sur ses joues. Nous sommes le 19 novembre 1996. J'ai la gorge serrée. Beaucoup de mal à parler. Mais je pense et parviens à lui demander une mèche de cheveux. Ce qu'elle fera.
   La veille de son décès, Lucie a pu prendre connaissance d'un petit mot que Gérard lui a lu, paraît-il, et que je m'étais résolu à lui adresser rue Leriche en demandant de faire suivre. Car n'ayant plus aucune nouvelle d'elle depuis un moment, j'étais habité d'un mauvais pressentiment.
   Je suis assailli d'idées, de sentiments contradictoires. J'ai l'impression de la sentir près de moi et ne peux m'empêcher de dire tout haut : Petite conne, si tu étais restée avec moi, tu serais encore vivante", pensant au mode de vie mené aux côtés de Gérard. Par ailleurs, je ressens une sorte de soulagement de savoir qu'elle l'a ainsi quitté. Qu'elle me revient un peu, en quelque sorte, dans le monde de l'esprit. A ce propos, je ne peux que m'interroger quant aux étranges craquements de mes meubles, le soir, lorsque j'éteins la lumière. Un phénomène qui perdure pendant des mois, puis finit par disparaître. Restent ses visites nocturnes en 3D, plus vrais que nature, où je la sens, la touche… Provoquant des réveils perturbants et me laissant perplexe, assis au bord du lit. C'est la première fois que je perds quelqu'un avec qui j'ai été si intimement lié.
   Contrairement à ce qu'elle nous a toujours dit (elle souhaitait être inhumée au cimetière Montparnasse à Paris), nous sommes étonnés qu'elle soit incinérée. Ses cendres sont déposées au columbarium de la Grande-Motte. Suggestion ou décision de Gérard ?  Nous ne pourrons pas, en tout cas, aller nous recueillir sur sa tombe.

 
 Grand Canyon made in France
   Juin 1997, nous voilà transhumants alpins, le temps d'un migration vers le sud. Nous nous posons pour une soirée à Bourg-d'Oisans, dans l'Isère, au gîte de France de Pauline et Eric Durdan, Les Petites sources, au décor bois chaleureux. Ambiance conviviale au dîner à la table d'hôtes. Lui, passionné de montagne, peut nous en parler, il est guide !
   Grimpette (en voiture !) jusqu'à l'Alpe-d'Huez, à plus de 1 800 mètres, avec ses 21 lassants lacets à vous donner le tournis et à briser, on le comprend, les dernières forces des coureurs du Tour de France, à qui est souvent réservé cette ultime épreuve en fin d'étape.
   Nous passons par le village de la Grave dominé par la masse écrasante de la Meije, de près de 4 000 mètres. Briançon, sa Ville Haute et ses fortifications édifiées par Vauban. Barcelonnette, tapie au fond d'une verdoyante vallée, et sa curieuse histoire des "Barcelonnettes" ayant fait fortune au Mexique au 19e siècle. Castellane avec sa chapelle de Notre-Dame-du-Roc tout en haut de sa falaise de près de 200 mètres, où nous nous accordons une pause déjeuner dans la vieille ville, près d'une rafraîchissante fontaine sur une petite place ombragée.
   Nous parcourons les gorges du Verdon par la rive nord, la "Route des crêtes", passant par le Point sublime et quelques autres spectaculaires belvédères, la Palud-sur-Verdon, pour arriver à Moustiers-Sainte-Marie. Village très touristique enchâssé dans une brèche entre deux falaises, traversée par une chaîne de plus 200 mètres de long, retenant une curieuse étoile dorée. Montée par un chemin (de croix, en plein soleil !) à la chapelle Notre-Dame-de-Bauvoir qui offre d'agréables vues.
   Soirée étape à Aiguines, village tranquille au charme d'antan, avec son château flanqué de quatre tours, sa vue panoramique sur le lac de Sainte-Croix. Dîner au Restaurant le rive gauche, place de la Fontaine.
   Nous posons nos sacs aux Salles-sur-Verdon, un village tout neuf, l'ancien reposant au fond du plan d'eau, depuis 1975. Location au Studi'hôtel, place Sainte-Anne, apparemment tranquille, à proximité de l'église. Mais c'était sans compter sur le carillon du clocher qui sonne scrupuleusement les heures, les demies, les quarts ! "Oh! Quelle nuit..." !  Obligés, dès le lendemain, de demander à déménager à l'opposé du bâtiment dans un studio donnant sur la végétation. Renseignements pris, des autochtones irréductibles s'opposent à tout changement, totalement indifférents à la gêne occasionnée aux vacanciers croyant trouver ici le Pays du matin calme ! Après avoir pallié ce problème, nous adoptons la maison, comme nous le sommes par le cerbère canin des lieux, un trapu petit bouledogue noir au cou de taureau, Maurice (!), qui vient nous visiter régulièrement par le côté jardin !  Séjour partagé entre séances de plage sur les rives du lac ou sorties-découvertes dans la région : Notre-Dame-de-Baudinard, Bauduen et Sainte-Croix-de-Verdon, villages autrefois perchés, maintenant au bord de l'eau…
   Séjour un peu trop à l'écart, cependant, pour moi qui, depuis ma retraite, suis tout de même un peu isolé dans ma cellule de béton, devant l'écran de mon ordinateur. Heureusement, une entraînante soirée dansante à l'Auberge des Salles, puis un dîner en terrasse avec vue, aux Arcades, m'ouvrent quelques parenthèses animées !
 
   Septembre 1997, j'ai envie de faire découvrir à Monique la région du Périgord. Nous nous y acheminons en passant par l'Auvergne. Murat dans un agréable cadre dominé par trois pitons escarpés. Le puy Mary que j'avais courageusement gravi (!) dans les années 1960. Salers, ville fortifiée ayant conservé ses remparts, que j'ai déjà visitée dans les années 1970 et 80. Après de vaines recherches d'hébergement dans son enceinte, nous trouvons enfin aux abords, un hôtel disposant de chambres, Le Gerfaut, route du puy Mary, mais affichant trois étoiles !  Monique se charge de négocier les tarifs. Avec succès.
   Nous passons ensuite par des endroits, pour moi, déjà vus et parfois même revus, au cours des deux décennies précédentes : Aurillac, Figeac, patrie de Champollion, avec sa reproduction de la fameuse pierre de Rosette, gravée dans du granit noir, qui avait permis au savant de décrypter les hiéroglyphes égyptiens. Souillac, Sarlat-la-Canèda, cité médiévale comptant plusieurs dizaines de monuments ou immeubles historiques classés. Nous nous offrons une pause déjeuner à L'Entracte, place de la Liberté. Après une visite de Rocamadour, au cours de laquelle un généalogiste, disposant d'un logiciel spécialisé, me fournit un texte sur l'origine de mon patronyme, nous dormons dans un hôtel surplombant la localité, offrant également un camping, le Comp'Hostel, place de l'Europe. Partis téléphoner à la famille, d'une cabine publique juste à côté, nous essuyons une inquiétante pluie zébrée d'incessants éclairs d'orage, présageant rien de bon pour la suite de notre périple.
   Nous nous laissons emporter le lendemain le long du cours paresseux de la Dordogne vers Domme, la Roque-Gageac, Beynac-et-Cazenac où nous choisissons un agréable établissement, l'Hôtel-restaurant du château. Au matin, Monique consulte Météo France par téléphone et devant les prévisions peu encourageantes, nous décidons de battre en retraite vers des cieux plus cléments !  Et nous mettons aussitôt cap au sud-est toute !
   Et le temps de croiser au large des remparts de Carcassonne et de les aborder seulement du regard, quelques minutes, d'une aire de l'autoroute des Deux Mers, nous voilà de nouveau sur les rivages du village de Barcarès. Nous fixant à la résidence des Maisons de Barcarès, proposée comme précédemment par les Agences N° 1. Décidément, nous aimons beaucoup cette localité, qui accueille des touristes, certes, mais qui garde une dimension, l'âme d'un village, avec des animations en soirée, sur la place. Notamment la venue d'orchestres permettant de nous agiter les gambettes sur des rythmes divers et variés !…
   Evasion à Perpignan avec son palais des rois de Majorque, le Castillet et ses deux tours à créneaux et mâchicoulis. Hommage aussi aux vignes du Seigneur, à Fitou, un village dont le vignoble assure notre vin quotidien ici !
   En remontant sur Paris, et traversant Paulhan, entre Pézenas et Clermont-l'Hérault, j'aperçois un panneau routier indiquant "Adissan : 3 kilomètres", où habitent maintenant mon cousin Jacques Sevin et sa famille. Une éternité que je ne les ai vus. Pas depuis le début des années 1970, je crois, lorsqu'ils étaient encore dans leur boulangerie de Pouzolles !  Cela mérite bien un petit détour. Arrivé au village, je roule un peu au hasard et apercevant un quidam devant sa maison, un béret sur la tête, je lui demande s'il connaît M. Sevin. "Ah non ! Moi, je suis le gardien du cimetière !". Et après un éclat de rire. "Alors, tu ne me reconnais pas ?". Lui m'avait repéré lors de ma reconnaissance des lieux. Nous sommes mutuellement heureux de nous revoir. Tour du propriétaire : une assez grande maison en retrait de la route de l'Estang, avec un vaste jardin potager derrière, prolongé par un petit pré qu'arpente un âne, une cave-caverne d'Ali Baba recelant un tas de choses dont un ancien vélo de course. Jacques a toujours été, comme son père d'ailleurs, un fan de cyclisme… Enfin, plus en spectateur qu'en selle, je crois !  Il est vrai que maintenant, il ne doit plus guère pratiquer à la suite d'une assez lourde intervention chirurgicale, il y a quelques années, pour un cancer de la vessie. Renée aussi a eu des ennuis de santé : une intervention sur la glande thyroïde, touchant les cordes vocales, lui avait fait perdre temporairement la voix.
   Nous repassons les voir une autre année et restons dormir chez eux. Jacques nous mijote quelques bons plats dont il a le secret. N'a-t-il pas fait, dans sa jeunesse, l'apprentissage de cuisinier-pâtissier ! Nous gardons le souvenir, entre autres, d'une fricassée de cèpes du pays et d'un plat d'aubergines (ou de courgettes ?) au four dont la seule évocation nous faire encore saliver ! Ce plaisir de la cuisine et, bien sûr, de sa dégustation a conduit malheureusement Jacques à ce que l'on nomme maintenant pudiquement une surcharge pondérale, préjudiciable à son état général. Dur, dur de résister aux bonnes choses de la vie. Ce qui ne l'empêche pas de garder l'œil pétillant et d'entreprendre de danser une java avec Monique ! Quant à leurs enfants que j'ai connus gamins à Pouzolles, Gilles est marié, père de famille et technico-commercial pour une coopérative agricole. Martial, lui, est pâtissier plutôt haut de gamme. Beau look, discours aisé et agréable. Je l'ai revu une fois à Paris, dans les années 1980, nous avons bu un pot sur le parvis de la Défense et parlé photo . Je le revois plus tard alors qu'il travaille chez Laurent, restaurant renommé du 8e arrondissement, nous rencontrant deux ou trois fois dans le cadre vivant et assez chaleureux du petit restau Au Dernier métro, boulevard de Grenelle, ou bien chez moi autour d'un plat fait maison.
 
   Juin 1998, des cousins de Monique nous prêtent leur appartement de vacances à Empuriabrava, sur la Costa Brava. Une sorte de cité lacustre où les villas et petits immeubles sont reliés par des canaux et disposent d'anneaux pour amarrer les bateaux. Séjour tranquille, essentiellement de plage. Nous assistons quotidiennement au sauts de parachutistes du club local, qui s'envoient en l'air d'un appareil type Pilatus, après une lente montée hélicoïdale jusqu'à l'altitude requise, et atterrissent près de nous. Spectacle gratuit !  En parcourant l'annuaire téléphonique de la région, je découvre les coordonnées d'une ex-collègue de chez Solvay, Anne Granger, venue s'installer ici. Nous lui rendons visite dans sa boutique de prêt-à-porter et accessoires de luxe, ancrée dans le cadre du Club Nàutic du port. Cela doit la changer de l'avenue Victor-Hugo à Paris. Mais toujours active et entreprenante et les yeux remplis de ciel !
 
   Février 1999, après avoir parcouru pas mal de revues consacrées à l'informatique et avoir potassé un bouquin de plus de 800 pages, PC Installation, utilisation, entretien (Micro Application, 1998), je me décide à me lancer. Et je commande en direct (parce que beaucoup moins cher que n'importe où ailleurs) auprès de Dell à Montpellier, un ordinateur portable avec écran de 15", modèle Inspiron 7000, l'un des plus performants de leur gamme de l'époque, avec un disque dur de plus de 6 gigaoctets !  Quand même un investissement de 22 000 francs. Quand je reçois la livraison, quelques jours plus tard, dans un carton soigneusement confectionné, tout ce que je sais faire, c'est lire attentivement la notice d'installation, sommaire mais explicite, pour introduire la batterie dans son logement et brancher l'ordi sur une prise de courant !  J'appuie sur le bouton adéquat. Et, miracle, l'écran s'éclaire, ça marche !
   Et sans aucun cours, mais avec des bouquins achetés à la Fnac, au fur et à mesure de mes besoins, j'apprends. Vite. Car ma capacité à mémoriser semble encore tout à fait opérationnelle !  Je commence par m'initier au traitement de texte Word, déjà installé sur la machine. Et je m'emploie à convertir tous mes textes dactylographiés avec ma Brother, du format WPT en ASCII pour les retravailler sur Word, avant d'entreprendre d'en écrire de nouveaux. En avril, j'achète aussi une imprimante Hewlet-Packard à jet d'encre, mais à la Fnac, cette fois. Cela me procure un grand plaisir de procéder à la mise en page, de choisir la police et le corps des caractères et d'imprimer rapidement moi-même mes tapuscrits.

 
 Classe Grand luxe
   Mars 1999, Monique gagne le titre de meilleure vendeuse dans le cadre d'un concours organisé par Guerlain. Premier prix : une somme forfaitaire pour un séjour dans un établissement haut de gamme de la sélection Relais & Châteaux. Son choix se porte sur le Royal Champagne à Champillon, près d'Epernay, dans la Marne, dont les conditions nous permettent d'y séjourner trois jours. Un ancien relais de poste dominant des collines de vignobles champenois, où Napoléon "relaya" le 17 mars 1814, indique une plaque apposée sur un mur. "The Quenn" d'Angleterre y a été également accueillie, nous confie la maître d'hôtel qui, d'ailleurs, lors de notre dernière soirée, nous attribue la table réservée à sa Gracieuse Majesté, nichée dans une sorte de discrète alvéole, mais offrant une vue… royale, cela va de soi, sur le paysage environnant !
   Je dois dire que je suis beaucoup plus à l'aise que le premier soir où, costumé, cravaté, j'ai franchi les portes du restaurant. Un cadre qui n'est pas le mien, sous le regard aiguisé d'un personnel particulièrement attentif, avec un menu à décrypter sorti de la toque d'un grand chef inspiré et une carte des vins à vous faire déjà tourner la tête !… Mais j'avoue que je m'adapte assez vite au milieu dans le quel je suis immergé, selon la bonne vieille théorie de l'évolution lamarckienne (!) et que la glace s'en trouve rompue d'autant rapidement. Nous sommes d'ailleurs invités à une visite des vastes cuisines nickel, où nous saluons le personnel et avec qui nous échangeons quelques propos quant aux mets et pâtisseries que nous avons eu l'occasion d'apprécier.
   Notre chambre avec terrasse de bois s'ouvre largement sur le paysage vinicole. Chaque matin, nous sont apportés deux copieux plateaux dépassant largement nos besoins énergétiques pour une matinée !  Au point que nous prélevons quelques éléments qui constituent une partie de notre pique-nique du midi en pleine nature. Il faut dire que nous avons la chance de bénéficier d'une météo exceptionnelle en cette période printanière à peine débutante qui, petite déception cependant, ne peut nous offrir qu'une forêt de piquets de vigne et de sarments exempts de tout feuillage !
   Ce séjour nous amène à visiter Reims. Sa cathédrale, évidemment, si chargée d'histoire, dans laquelle nous nous attardons longuement. Un régal pour un regard photographique, non seulement pour cette architecture gothique impressionnante, mais aussi pour ces jeux de lumière avec la pierre, cette ambiance mystique susceptible d'interpeller l'agnostique qui s'interroge !… Reims, métropole du champagne avec ses caves, des dizaines de kilomètres de galeries dans d'anciennes crayères souvent gallo-romaines, abritant de prestigieuses marques : Pommery, Taittinger, Veuve Clicquot, Mumm… La ville nous séduit également avec un centre vivant, moderne, aéré par de larges avenues, offrant un choix d'enseignes commerciales ayant peu de choses à envier à notre étouffante capitale !  Epernay, autre haut lieu des bulles pétillantes des jours de fêtes, avec la présence de Mercier, Moët et Chandon dont nous visitons la cave et rapportons en souvenir… un tire-bouchon de sommelier !  Coup d'œil également à la basilique Notre-Dame de l'Epine, aux ambitions de cathédrale.
   Nous pérégrinons dans de charmants petits villages champenois nichés dans les courbes harmonieuses des collines, pudiquement enveloppés parfois dans le voile des brumes matinales ou du soir : Mutigny, Ay, Chavot, Châtillon-sur-Marne, Verzenay…
 
   Septembre 1999, après le Royal Champagne, nous voilà invités à Pont-Royal (!), dans les Bouches-du-Rhône, à proximité de Cavaillon, à la résidence Pierre & Vacances. Bel établissement disposant de bassins à vagues que nous fréquentons assidûment et aussi d'un vaste terrain de golf mais, pour nous, juste un joli tapis vert reposant pour les yeux !  Nous allons faire nos courses à Mallemort, la petite ville voisine, qui offre curieusement deux ponts franchissant la Durance, un récent en béton et un ancien, suspendu, dans la pure tradition, aujourd'hui condamné à la peine capitale : banni de toute circulation !
   Visite de l'abbaye cistercienne de Silvacane dans son décor champêtre, près des rives de la Durance. Promenades à Salon-de-Provence, avec son château de l'Empéri, sa Fontaine Moussue, la maison de Nostradamus… Saint-Rémy-de-Provence, symbole de cette Provence qui fleure bon le thym et le romarin, et ses Antiques, seuls vestiges de la cité romaine disparue de Glanum. Roussillon, classé parmi les plus beaux villages de France, dans un curieux site de collines, de falaises offrant une incroyable palette d'ocres, évoquant certains paysages de l'Ouest américain !  Nous déjeunons à La Gourmandine, place de l'Abbé Avon. Grimpettes pédestres à Oppède-le-Vieux, étagé sur un éperon rocheux et revitalisé par des artistes, et aussi à Gordes, accroché à une véritable falaise dominant la vallée. Visite, près de là, du curieux village des Bories, avec ses constructions de pierres sèches assemblées sans aucun mortier, d'origine mystérieuse, datant de quelques siècles.
   En remontant vers Paris, nous passons une soirée à Châtelguyon, agréable petite station thermale fleurie du Puy-de-Dôme, à l'Hôtel Régence, avenue des Etats-Unis.

 
 Fin de siècle, nouveau millénaire !
   L'an 2000 ! J'y pensais déjà quand j'étais gamin. Mais étant donné le caractère aléatoire de la vie que j'avais eu l'occasion de constater, c'était un lointain horizon que je ne croyais pas atteindre !  Et pourtant, il est là, comme une banderole au-dessus de la piste d'un circuit, annonçant une prime au énième tour !  Non seulement je franchis la ligne d'arrivée de ce siècle, mais aussi du millénaire !  Sacrée épreuve. Les catastrophistes de tout poil nous annoncent le pire, à commencer par les informaticiens qui nous promettent le big bug qui risque de semer un bordel noir. Et puis, rien du tout. Ce 1er janvier, je me réveille, baille, m'étire comme d'habitude et plonge dans le regard de Câlinette jolie pour me rassurer que j'existe. J'allume la radio, écoute les infos : la Terre continue de tourner, la vie de tourbillonner… Tout est O.K.
   Pour cet exceptionnel événement, je fais l'incommensurable effort d'adresser à quelques membres de ma famille, amis ou relations un peu oubliés, une carte de vœux de mon cru. Un message de fol espoir de paix pour ce troisième millénaire, illustré d'une photo extraite d'une encyclopédie multimédia, représentant notre planète bleue sur le fond noir de l'univers. Car j'ai découvert la consultation magique de l'encyclopédie Encarta de Microsoft, faisant partie des logiciels fournis avec l'ordinateur, puis de celle éditée par Hachette, que je n'ai pas tardé à acheter, peut-être plus riche encore.
   Et en février, après ma conversion à l'informatique, je fais un second grand pas en avant en décidant de me connecter à ce fameux réseau dont nous entendons tant parler : le Web. Après avoir comparé les conditions des différents fournisseurs d'accès, je m'abonne auprès du Club Internet : un forfait de 20 heures pour 97 francs. Et je trouve absolument fabuleux de pouvoir ainsi surfer sur l'océan des connaissances humaines et aussi, il faut le dire, celui de spectacles beaucoup moins avouables !  Mais cette invention m'apparaît aussi importante que l'imprimerie de maître Gutenberg.
   Je ne tarde pas non plus à penser que cette nouvelle technologie me permet désormais de devenir mon propre éditeur et, à mon tour, d'offrir à lire mes textes au monde francophone. Il ne me reste qu'à apprendre à créer un site. Club Internet, dans le cadre de mon forfait, met en effet 150 mégaoctets d'espace gratuit à ma disposition pour l'héberger. J'achète donc les bouquins d'autoformation adéquats, dont Créez vos propres sites Web puis, plus tard, Créer du trafic sur son site Web (toujours de Micro Application) et je découvre pas à pas l'utilisation de Frontpage Express, un logiciel minimaliste de création mais suffisant pour l'instant, lui aussi déjà installé sur l'ordinateur.
   Et en mai 2000, mon chantier terminé, je mets mon site en ligne, intitulé Aux mots la parole !, intégrant tous mes textes, classés par forme d'expression : chansons, poèmes, sketches, nouvelles… Une mise en page sobre, sur un fond de lumière chaude jaune paille, en minimisant les liens, les appels graphiques en tous genres, plutôt générateurs de confusion que fils conducteurs pour guider la lecteur dans sa navigation.
   J'ouvre donc mon site sur le monde, mais pour que le monde s'ouvre à lui, il ne reste plus qu'à le faire connaître en le faisant référencer auprès des moteurs de recherches, annuaires, répertoires… Un travail de longue haleine, loin d'être créatif ! Mais "payant". Et gratifiant, quand je commence, avec les statistiques fournies par Club Internet, à compter quelques lecteurs par jour, puis quelques dizaines, puis cent, puis deux cents. De France, des pays limitrophes, du Canada, puis d'un peu partout de la surface de la planète, de tous les continents, même des antipodes, d'îles lointaines qui me sont complètement inconnues !… Des pays qui se comptent d'abord sur les doigts de la main, puis par dizaines et, avec le temps, dépasseront allègrement la centaine !
   Ayant indiqué mon adresse électronique sur mes pages, je commence à recevoir des mails, une sorte de courrier des lecteurs pour, le plus souvent, me jeter des fleurs !  Jamais d'orties. Excepté sur les forums où je m'aventure parfois pour y exprimer un point de vue, insérant un texte ou simplement un extrait. S'ensuivent alors des réactions inattendues, compliments ou volées de bois vert dont la vulgarité est souvent proportionnelle aux "fote d'ortograf" qui les émaillent !  Enfin, cela me donne le sentiment d'exister ailleurs que dans mon petit univers familier. Et lorsque tapant simplement mon nom sur un moteur de recherche, apparaissent non seulement la page d'accueil de mon site, mais aussi des pages internes, des liens vers d'autres sites me répertoriant ou même, plus tard, citant mes textes, c'est carrément la gloire !… 
 
   Juin 2000, nous optons pour la France profonde. Etape du soir à Peyrat-le-Château, en Haute-Vienne, à l'Auberge du bois de l'étang, où j'ai déjà fait étape par le passé. A quelques kilomètres du lac de Vassivière, nous entreprenons d'en faire le tour par la route "circumlacustre", en attendant le dîner. Monique est impressionnée par la sombre et peu engageante profondeur de la forêt environnante. Mais non, il n'y a pas de gros méchants loups !… Le patron de l'établissement est un fan de cyclisme et expose d'ailleurs, dans la salle de restaurant, un authentique maillot jaune du Tour de France.
   Le lendemain, nous établissons nos quartiers à Eymoutiers, au lieu-dit Claud, au rez-de-chaussée de la maison de la propriétaire. L'appartement, orienté plein sud, s'ouvre sur un pré agrémenté d'un parterre de fleurs. Mais ce joli pré vert n'est pas celui du bonheur pour cette femme qui nous confie avoir récemment perdu son mari dans un stupide accident de voiture… Quelques excursions dans la région : le Rat, un site isolé, avec sa chapelle Saint-Roch et ses rochers supposés avoir été creusés à l'époque celtique. Les Cars et ses vestiges gallo-romains en pleine nature. Gentioux avec son monument aux morts pacifiste, représentant un écolier en sabots, le poing tendu vers la stèle portant l'inscription "Maudite soit la guerre". Saint-Léonard-de-Noblat, avec sa ville médiévale et son ancienne collégiale romane, pays d'adoption aussi du populaire champion cycliste Raymond Poulidor…
   Le jour de la fête de la musique, un orchestre installé sous les halles incite à danser. Les gens se regardent, hésitent… Nous nous élançons sur la piste et ouvrons le bal. L'assemblée ne tarde pas à suivre !  Curieuse scène de handicapés acheminés ici, cloués sur leur fauteuils roulants, mais entraînés par la dynamique de la musique, ils parviennent à se lever ou presque et à esquisser des mouvements synchronisés avec le tempo. Belle démonstration de la force de l'esprit. Cela ne peut que me rappeler Jésus disant à Lazare : "Lève-toi et marche".
   Mais le temps ne cessant d'être maussade, nous abrégeons notre séjour limousin et décidons de remonter vers les bords de Loire où il semble plus souriant !  Et après consultation du catalogue de Villages vacances Val et prise de contact par téléphone, nous voilà en demi-pension dans un hôtel, les pieds dans l'eau d'une rivière, le Relais du moulin à Valençay, dans l'Indre. Nous profitons largement de la piscine couverte et prenons des bains de soleil sur l'herbe verte du pré bordant la rivière.
   Retour vers le passé avec la visite du château et dépendances du célèbre homme politique, diablement caméléon pour survivre à tous les régimes, le prince de Talleyrand. Les immenses cuisines avec personnel de cire donne au lieu une impression de vie.
   Safari pacifique au parc zoologique de Beauval à Saint-Aignan, à une trentaine de kilomètres, qui présente sur une surface de plus de 20 hectares, des singes dont de très expressifs orangs-outans et puissants gorilles, des fauves dont des tigres et lions blancs, des rhinos, girafes, otaries… Enfin un concentré animalier de tous les continents !
   Rallye pédestre aussi entre les rutilantes rétromobiles en stationnement illimité dans les allées du musée de l'Automobile de Valençay qui, au travers d'une soixantaine de véhicules, nous fait revivre son histoire, depuis le début du 20e siècle jusqu'aux années 1980.
   Un soir, l'hôtel nous prépare un dîner sur le pré, en bordure de rivière. Un autre soir, une soirée Talleyrand avec deux ou trois comédiens et la participation du personnel. Sympathique.

 
 L'an 1
   Août 2001. Souci de santé en plein mois d'août, ce n'est pas spécialement bien choisi. Une douleur fulgurante, au bas gauche de l'abdomen, m'amène à appeler d'urgence SOS Médecins, boulevard de Port-Royal, qui me délègue le Dr Rosier. Suspectant une crise de colique néphrétique, il me fait immédiatement une piqûre propre à apaiser la douleur et me prescrit un antispasmodique et un antalgique. Je suis dans un tel état de fébrilité que je laisse le soin au docteur de remplir mon chèque, me contentant simplement de le signer. Quelques heures après, apaisé, je réussis enfin, après maintes recherches, à trouver un établissement ouvert, le Centre d'imagerie médicale d'Alleray-Labrouste, rue Labrouste, qui effectue une échographie ne révélant aucune lithiase ou anomalie des voies urinaires. La crise est passée.
 
   Septembre 2001, Villages vacances Val nous emmène aux pays des volcans !  A Parent, dans le Puy-de-Dôme, à une quinzaine de kilomètres au nord d'Issoire, dans un ensemble de maisonnettes jumelées, disposant d'une piscine en plein air. Nous faisons bien d'en profiter dès notre arrivée car, les jours suivants, le soleil nous fuit !
   Cet endroit restera à jamais gravé au plus profond de ma mémoire, car c'est ici, dans la salle de restaurant de ce village de vacances, que nous assistons quasiment en direct à l'incroyable attaque venue de l'espace et à l'effondrement des tours du World Trade Center de Manhattan. C'est le 11 septembre. Un moment d'intense émotion qui me serre la gorge. Un jour, une année forcément inoubliables. L'an un du troisième millénaire. 2001, l'odyssée de l'espèce... Cet événement ne fait que me confirmer l'horreur qu'elle est capable de commettre.
   Découverte des environs. Vic-le-Comte où nous allons faire nos courses par une agréable route départementale offrant de jolies perspectives. Billom qui nous propulse au Moyen Age avec ses maisons à colombages. Montpeyroux, un village coiffant une colline, agglutiné autour de son donjon médiéval crénelé. Issoire, un pied dans l'ère industrielle avec son importante zone d'activités, un autre dans le passé avec ses vieux logis et ruelles étroites, son abbatiale Saint-Austremoine, du 12e siècle. Usson sur sa butte volcanique, ses orgues basaltiques, les vestiges de sa forteresse où a été internée pendant 20 ans Marguerite de Valois, dite la Reine Margot.
   Excursion et montée dans le brouillard du puy de Dôme pour… ne pas voir grand-chose à travers le chapeau de nuages qui coiffe le sommet. Des années auparavant, j'avais bénéficié de meilleures, conditions permettant d'admirer la perspective de la chaînes des Puys. A peine pouvons-nous apercevoir les ruines du temple romain dédié à Mercure.
   Un circuit nous fait passer par Orcival, niché dans un vallon verdoyant, un village avec une basilique romane dans laquelle, dans le passé, j'ai eu l'occasion d'assister fortuitement à l'ordination de prêtres. Les roches Tuilière et Sanadoire qui encadrent une vallée et que je redécouvre sous une autre lumière, le lac de Guéry, le col de la Croix-Morand où je suis déjà monté et qui m'a toujours réservé un décor assez sinistre. Beaune-le-Froid où j'ai vécu de sympathique soirées étapes au Relais des montagnes, agrémentées de balades dans le village et aux environs, dans un authentique cadre rural. Monique apprécie aussi beaucoup. Murol et son château médiéval, où je garde le souvenir d'une étape à l'Hôtel du parc qui avait bien voulu nous accueillir, Solange et moi, malgré un repas de mariage dont nous avions d'ailleurs, en grande partie, bénéficié du menu !
 
   Après ces quelques jours passés à Parent, nous rejoignons Saint-Jean-la-Vêtre, dans la Loire, à quelques kilomètres de Noirétable, toujours hébergés par Village vacances Val. Et là, mis à part quelques rares sourires du soleil, nous avons surtout droit au ciel gris, au froid… Pour aller à la piscine couverte, heureusement à température confortable, juste en contrebas de notre studio, nous devons revêtir nos parkas !  Heureux que nous aimions lire, l'un et l'autre, car le temps ne se prête même guère aux balades. Je me réjouis d'avoir emmené un bouquin de l'un de mes auteurs préférés, Eric-Emmanuel Schmitt, La part de l'autre, dont la quatrième de couverture interpelle : "Que ce serait-il passé si l'Ecole des beaux-arts de Vienne avait […] accepté et non refusé Adolf Hitler ?  Passionnant, non ?  Près de 500 pages à ouvrir pour découvrir un autre possible étonnant. Voilà de quoi griser l'imaginaire et oublier la grisaille !
   Rares échappées belles vers Saint-Just-en-Chevalet, Laprugne où je revois la petite station de la Loge-des-Gardes, la forêt de l'Assise, le rocher de Rochefort… Près de Ambert, nous sommes invités, à titre d'auteur référencé, à visiter gratuitement le Moulin Richard-de-Bas qui, depuis des siècles, fabrique à la main du papier à inclusions florales et édite aujourd'hui des textes de Baudelaire, Hugo, Kipling, Prévert, Rimbaud, Ronsard, Verlaine et... Guilloreau !  Nous passons ensuite du Moulin à La Chaumière, avenue du Maréchal-Foch à Ambert, où après ce voyage dans le passé, nous nous offrons le présent d'un chaleureux déjeuner.
 
   Juin 2002, migration une fois de plus vers le grand Sud… de la France et la grande bleue !  Abandonnant la sacro-sainte "autoroute du soleil" à Lyon, nous prenons le chemin des écoliers-vacanciers-pas-pressés vers Grenoble, avec l'intention d'emprunter l'historique Route Napoléon. Mais peut-être pas le bon plan, ce jour-là, dans le semi-embouteillage de la rocade de la ville, sous l'ardeur d'un véritable four solaire !  Après avoir franchi le col Bayard, traversé Gap, nous bivouaquons à Sisteron, étagée sur sa hauteur rocheuse couronnée de sa citadelle et, lui faisant face, le "cauchemar figé" du rocher de la Baume. Après nous être attardés, le lendemain matin, dans les ruelles de la vieille ville et sur le marché provençal à l'ombre de l'église Notre-Dame, nous reprenons le ruban de la route !  Et comme la veille, sous un soleil à fondre le bitume.
   Pause déjeuner en cette petite ville de Castellane, déjà lieu d'étape dans le passé. J'ai largement sous-estimé non pas la distance à parcourir, mais les difficultés du parcours sur une route nationale sinueuse, pratiquement toujours à deux voies seulement, jusqu'à Grasse, ville du peintre Fragonard et capitale des parfums. Nous n'avons cependant pas le temps de nous enivrer de ses fragrances !  Enfin, après quelques kilomètres de pseudo-autoroute et d'autoroute, voilà la Napoule et "la mer qui roule ses galets", comme chantait Charles Trénet, entrevue entre les blocs de béton des hôtels multi-étoiles !
   Courage !  Plus qu'une vingtaine de bornes kilométriques, entre deux haies de voitures d'estivants garées en désordre organisé le long de la chaussée littorale. Et nous sommes à Agay. Plus exactement à Cap Estérel, une fois encore dans une résidence Pierre & Vacances. Toute première inaction d'urgence avant de nous installer, se relaxer devant une boisson fraîche sur la factice mais accueillante place du village, à l'abri du soleil !
   L'endroit est agréable, architecture d'inspiration provençale, fleurs, palmiers, piscines à température des lagons, ruelle avec boutiques, supérette (pas bon marché !), restaurants sur la place… Appartement avec vue, d'un côté sur le cap du Dramont, de l'autre sur le massif de l'Esterel. Le soir, animations gratuites variées et de qualité. Seule ombre au tableau, la topographie des lieux exige sans cesse de monter, descendre des escaliers. Et sous cette température caniculaire, avec le poids des courses au bout des bras, de quoi vous couper les jambes !  Des courses que nous préférons aller faire à Agay ou, mieux encore, à Saint-Raphaël, juste à quelques kilomètres, où nous trouvons des commerces plus avantageux, y compris Ed, mon épicier discounter préféré !
   Nous commençons par explorer les alentours, Agay et son mini-port, le cap du Dramont surmonté de son sémaphore, des criques discrètes tout à côté, l'île d'Or, en face, parée d'une tour d'allure moyenâgeuse, dont on dit qu'elle aurait inspiré Hergé pour l'un de ses albums, Tintin et l'île Noire. Montée pénible, sous un soleil de plomb, sur les pentes de porphyre rouge du Rastel d'Agay où Monique déclare forfait à une centaine de mètres du sommet !
   Escapades plus lointaines aussi. Le pic de l'Ours, conquis au prix d'une route étroite en lacets, mais qui nous récompense par un exceptionnel tour d'horizon sur la côte et le massif de l'Esterel. Le mont Vinaigre, plus éloigné de la mer, derrière le massif de l'Esterel, nous réserve aussi une belle "panovision" : d'un côté sur Saint-Raphaël, de l'autre sur Cannes. Près de là, nous passons devant l'Auberge des Adrets, un ancien relais de poste, repaire d'un détrousseur de voyageurs au 18e siècle. Balades maritimes vers Anthéor, une petite station avec les arcades de son viaduc ferroviaire. Le rocher Saint-Barthélémi où un peintre expose ses toiles sur des chevalets. Une galerie insolite de plein air en bordure de mer !
 
 Les Filles de la Rochelle
  
Septembre 2002, nous pensons nous amarrer à La Rochelle, mais après une rapide exploration de la ville, certes agréable, mais un peu trop "urbaine" (!) cependant pour un séjour de vacances, nous refluons vers Châtelaillon-Plage, à une dizaine de kilomètres au sud. Une petite ville tranquille, sans embouteillages (du moins, en cette saison !), sans feux rouges abêtissants à tous les coins de rue, ni vroum-vroum assourdissants… Bref, sans toutes les contraintes et nuisances inhérentes à toute grande ville qui respecte son statut !  Un bon point cependant aux automobilistes rochelais qui semblent rester zen et ne klaxonnent pas furieusement leurs semblables étrangers ayant perdu le cap et qui naviguent à vue de nez !
   Après une soirée passée à l'hôtel La Pergola, en bordure de plage, nous trouvons assez rapidement un toit, avenue des Boucholeurs, chez la famille Legrand, dans une annexe de leur maison et le cadre verdoyant d'un jardin arboré. Le terrain de jeu de prédilection, semble-t-il, de quelques taupes, au désespoir des propriétaires qui plantent des appareils émetteurs d'ondes sensées les éloigner !  Ce couple, tout à fait accueillant, nous offre un pot de bienvenue en nous proposant, entre autres, un agréable pineau des Charentes.
   Tours de quartier pédestres le soir, après dîner, permettant de découvrir le melting-pot de jolies petites maisons sans prétention et d'autres plus cossues, plutôt villas, mais à vocation essentiellement estivale, qui doivent avoir les yeux clos une majeure partie de l'année !  Nous aimons, le matin, fréquenter le marché qui installe ses étals dans la rue… du Marché (!) ainsi que boulevard du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny. L'après-midi, séances de plage, cela va de soi, et promenades sur l'agréable front de mer ponctué de pimpants établissements hôteliers aux couleurs vives.
   Découverte, lors d'une balade au Vieux-Châtelaillon, d'un cimetière mérovingien où sont exposés nombre de sarcophages de pierre.
   Visite de La Rochelle. Une révision, pour moi, des années 1970. Le Vieux Port, bien sûr, défendu par ses deux tours médiévales de Saint-Nicolas et de la Chaîne, la porte de la Grosse-Horloge, l'esplanade Saint-Jean-d'Acre avec sa sculpture de globe terrestre, témoignage du "monde musical francophone reconnaissant", et où jette l'ancre, chaque été, le bateau ivre des Francofolies. Le quartier ancien avec la rue du Minage et ses anciennes maisons et arcades, la fontaine du Pilori, la place du Marché et sa maison du 15e siècle à pans de bois. Et à deux pas de la cathédrale Saint-Louis, le célèbre Café de la paix, seul survivant, paraît-il, de ces établissements opulents du 19e siècle. Le port marchand de la Pallice, animé par ses cargos et remorqueurs, et aussi la sinistre masse grise de béton de la base sous-marine allemande de la Seconde Guerre mondiale. Le port des Minimes dédié, lui, aux plaisanciers, avec sa forêt de plus de 3 000 mâts sifflant et cliquetant sous le souffle de l'océan. Nous déjeunons face au Vieux Port à La Popote de la mer, cours des Dames, qui, comme son nom le suggère, sert des spécialités de poissons !
   Incursion à Lagord où j'ai passé des vacances en 1975, mais j'ai des difficultés à reconnaître la topographie du bourg. "Mémoire qui flanche" ou bien profonde transformation ?
   Tour de l'île de Ré pour la faire découvrir à Monique, moi y ayant déjà séjourné en 1990. Aux Portes-en-Ré, je m'arrête cependant de nouveau devant une maison basse où j'avais photographié des roses trémières et qui a appartenu, je l'ai appris depuis, à une célébrité de l'entre-deux-guerres, Suzy Solidor, chanteuse, actrice, modèle, romancière… et sulfureuse !  Nous entrecoupons ce tour insulaire d'un déjeuner aux Mouettes, Grande-Rue, à la Couarde-sur-Mer, l'un des lieux de villégiature de notre ex-premier ministre Lionel Jospin.
   Passage à la pointe des Boucholeurs connue pour ses élevages d'huîtres et de moules. Poussée jusqu'à Fouras, station balnéaire familiale, avec son château fortifié par Vauban, son anse de Port-Sud où, en 1815, Napoléon a embarqué pour l'île d'Aix, juste en face, avant d'être exilé à Sainte-Hélène. A l'horizon, le fameux fort Boyard médiatisé par l'émission télévisée de la chaîne France 2.
 
   Novembre 2002, nouveau tournant dans ma vie d'apprenti conducteur d'engins informatico-numériques !  Je fais l'acquisition au magasin Darty d'un scanner Epson 2450, capable de traiter aussi bien les documents opaques de format A4 que les ektachromes et négatifs 24x36 mm et 6x6 cm. Je commence donc à numériser quelques-unes de mes photos pour illustrer des pages de mon site, notamment ma fiche biographique. Je m'initie aussi au logiciel de retouche d'images Photoshop Elements, avec un guide encore de Micro Application ainsi que celui de la fameuse collection Pour les nuls (éditions First Interactive). Je trouve cela réellement magique de pouvoir, comme dans un laboratoire, retoucher, recadrer, restaurer, transformer des clichés, créer des effets spéciaux… Encore plus magique quand, plus tard, j'apprends à maîtriser les calques et à composer des photomontages.
   Arrêt sur image, cependant, par la force des choses. En cette fin novembre, me voilà stoppé net en plein essor pictural par une récidive de colique néphrétique. Bloqué chez moi, le Dr Russo me visite à domicile. Mais cette fois, j'élimine nombre de minuscules calculs et je peux en recueillir un de grosseur significative. Si l'examen des urines, par le Laboratoire de biologie médicale du Dr Zeitoun, n'apporte pas d'information importante, l'analyse du calcul par le Laboratoire LCL, à Ivry-sur-Seine, révèle une composition à 90% de phosphate de calcium carbonate. Une autre analyse d'urines de 24 heures, réalisée en janvier 2003, fait apparaître un taux de calcium de plus de 300 miligrammes/24 heures, le seuil maximal. Comme il semble, dans ce domaine, ne pas exister de prévention autre que boire beaucoup, je décide d'oublier désormais les fromages blancs, forcément riches en calcium, même à 0%, dont je faisais allègrement une gourmandise midi et soir !  En tout cas, depuis cette restriction ("je touche du bois !"), je n'ai pas de récidive.
 
   Juin 2003, lors d'un séjour à Batz-sur-Mer, nous nous risquons à affronter une grande ville, mais dont nous entendons toujours dire grand bien en termes de qualité de vie : Nantes. Franchissant le pont de Saint-Nazaire, nous nous y acheminons par la route départementale de la rive gauche de la Loire, passant par les paisibles localités de Paimbœuf, le Pellerin… Ah !  Evidemment, il faut commencer par déposer la calèche dans un parking. Payant, bien entendu !  Tours et détours ensuite au cœur du vieux Nantes : place Graslin avec son grand théâtre au style corinthien, l'étroite mais très marchande rue Crébillon. Le fameux passage Pommeraye, sur trois étages, avec ses colonnes cannelées, ses statues blanches, ses multiples commerces. Quai de la Fosse avec ses grandes demeures du 18e siècle, érigées par de riches armateurs négociants en "bois d'ébène" (pudique expression signifiant commerce négrier). Après un déjeuner à La Boucherie, sur ce bord de Loire, promenade autour du château du 15e siècle des ducs de Bretagne, à la fois palais et place forte, visite de l'imposante et austère cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Découverte aussi, place du Commerce, de l'un des temples contemporains de la culture (!), une succursale Fnac, qui n'a rien à envier à celles de Paris. Admiration, cours Franklin-Roosevelt, du très design tramway qui glisse sur ses voies et donne envie de l'emprunter, contrairement au bruyant, triste, dépassé métro parisien.
 
   Septembre 2003, retour à Batz-sur-Mer. Mais pas à la maison habituelle du parc de Beaulieu car déjà retenue. Nous trouvons curieusement un logement auprès d'une dame venant justement l'offrir en location à une agence du Croisic. Ayant entendu son entretien, nous l'abordons à la sortie !  Affaire conclue après une rapide visite à la résidence Honoré de Balzac à Batz. Sympathique petit appart au premier étage, avec loggia, donnant sur les arbres du parc.

 
 Elle quitte ce monde
   Mai 2004, ma mère est hospitalisée à L'Aigle. Elle y a déjà effectué quelques séjours pour des états confusionnels passagers, de la faiblesse générale…, mais c'est à cause, cette fois, d'une fracture du fémur. Elle subit une intervention chirurgicale qu'elle supporte bien. Je lui rends visite et lui téléphone dans les jours qui suivent. Elle ne semble pas ressentir les effets du choc opératoire. Tout semble donc s'arranger. Marie-Thérèse, souvent accompagnée de Jean-Claude, vient la voir tous les jours. Mais une nuit, tout bascule. Appelé d'urgence par ma sœur, je la retrouve sous assistance respiratoire, dans un état semi-comateux, les yeux clos. Je lui parle, lui passe de l'eau de Cologne sur le visage. Je ne peux dire si elle se rend compte de ma présence.
   De retour à Paris, Marie-Thérèse m'appelle un matin au téléphone. Elle est décédée au cours de la nuit. Monique et moi nous rendons à L'Aigle, au funérarium de l'hôpital. Deux infirmières nous accompagnent, attentionnées, et nous disent quelle a crié très fort à un moment, au point de devoir lui faire une piqûre de morphine pour la calmer. Elle s'est ensuite assoupie. Puis, plus tard, elle est partie. Nous sommes le 17 mai.
   Nous organisons les obsèques avec la collaboration des Ets Mélanger, de L'Aigle, avec qui j'ai déjà pris contact, étant donné l'état soudain alarmant de ma mère. Heureusement, j'ai décrypté et dactylographié auparavant la liste qu'elle avait elle-même établie, pas toujours très lisible, des personnes à qui adresser des faire-part de décès. Ce qui nous facilite la séance collective, chez Marie-Thérèse, de la préparation des enveloppes.
   Nous recevons également chez Marie-Thérèse une personne bénévole de la communauté religieuse de L'Aigle, Mme Charpiot, qui vient recueillir quelques éléments de la vie de ma mère et nous demande de choisir, parmi deux ou trois recueils, des textes liturgiques à dire lors de la cérémonie.
   Le service religieux a lieu le samedi 22 mai, à 10 heures 30, en la petite église de Saint-Michel-Tubœuf. A la sortie, hors ma famille, je salue quelques personnes : M. et Mme Régnard, nos anciens voisins de Logeard, Pierrette, mon ex-premier amour des années 50, et son mari. Madeleine d'Orlando, cousine de Jeannine, mon ex-femme. Albert Chemineau, dit Titi, mon copain des années 50 du club cycliste U.V. Rai-Aube, à qui j'ai adressé mes condoléances juste quelque temps auparavant, très éprouvé par le suicide de son fils n'ayant pu supporter le départ de sa femme. Devant son chagrin conjugué à ma peine, je ne peux contenir mes larmes.
 
   Juin 2004, nous voilà sous divine protection (!), à la résidence Saint-Guénolé, avenue de la Grande-Vallée à Batz. Une studio en duplex, baptisé Marjane, en rez-de-chaussée d'une maisonnette jumelée, avec terrasse bordée d'une haie verdoyante permettant cependant la vue sur le passage menant à la plage Valentin. La propriétaire, une jolie brune dynamique nous dit être atteinte d'un cancer du myocarde. Après intervention chirurgicale lourde, elle est sous chimiothérapie et se bat avec énergie et le moral. Lors d'une visite à la maison neuve du Croisic, qu'elle et son compagnon aménagent, un petit homme de 80 ans, plein de vie, ancien résistant et déporté, ayant fait carrière dans l'agroalimentaire, nous sommes invités à boire le champagne dans une conviviale ambiance. Nous apprenons, hélas, par la suite, qu'elle est décédée à l'automne. Et cet homme qui avait généreusement, mais imprudemment, acheté cette propriété au nom de sa compagne, étant donné leur différence d'âge, s'est trouvé dépossédé de ce bien par les enfants. "Ainsi vivent les hommes" !
 
   Septembre 2004 , nous sommes accueillis dans la famille Istin, rue du Pré-Nantais, au Croisic, qui a aménagé un petit studio en duplex à une extrémité de leur maison. Nous nous saluons et conversons un peu chaque jour, y compris avec les trois enfants, des ados dont un est entré dans la vie active. Le mari travaille dans la chaudronnerie industrielle, pose de pipelines… Son épouse, au Comptoir de la mer. Ils nous prêtent leurs vélos dont un modèle de course qui me permet de me livrer à quelques sprints sur la route de la Côte sauvage !  J'ai encore l'impression de m'envoler dans les bosses, comme du temps de ma jeunesse. Un vrai bonheur !
 
   Début novembre, Marie-Thérèse et moi, accompagnés de Monique, allons à Moulins-la-Marche au rendez-vous de signature fixé par Me Guegnon chargé de la succession de ma mère. Modeste, bien sûr. Quelques milliers d'euros chacun. Le reliquat de ses économies placées au Crédit agricole et à la Poste, qui ont servi pendant des années à compléter les montants de sa retraite, de sa pension de victime civile de guerre et de l'aide sociale pour payer les mensualités de sa maison de retraite. Le lendemain, à événement exceptionnel, fait exceptionnel, pour en quelque sorte marquer d'une pierre cet "héritage", j'invite Jean-Claude, Marie-Thérèse et Anne, qui se trouve être là, à déjeuner à la Ferté-Frênel, à l'Hôtel du paradis. Malheureusement, à la suite d'une tentative d'échanges de vues sur la politique que j'essaie toujours de juger d'un point de vue économique et non à partir d'idéologies clés en main (!), Jean-Claude s'emporte, comme souvent dans ce cas, voit rouge et me taxe de Parigot !  Moi, le rural, ancien paysan, Normand de cœur et n'ayant qu'une piètre opinion de la capitale… Le repas tourne court. J'engouffre mon dessert, avale mon café et donne le signal du départ. Bref au revoir sur la place. Je vais être un temps sans revenir à L'Aigle. J'aime la discussion avec des personnes qui n'ont pas la même opinion, confronter des points de vue différents… Pas s'affronter et sombrer dans la dispute.
 
   Juin 2005, nous nous implantons dans les sables de Notre-Dame-de-Monts, en Vendée, une tranquille petite station balnéaire sertie dans les senteurs de la forêt de pins des Pays de Monts. Par l'intermédiaire d'une agence, nous trouvons, dans l'heure qui suit, un studio dans une partie de la maison de famille de M. et Mme Delrieu, rue de la Croix de la Gaillarde. Des gens agréables (ainsi que leur labrador qui nous fait grande fête !), tous deux retraités de l'enseignement. Nous prenons plaisir à échanger quelques propos et même à bavarder plus longuement, comme lorsqu'ils nous invitent à prendre un pot avant notre départ. Résidant à Saint-Herblain, près de Nantes, j'assure l'arrosage de leurs plantes en leur absence !
   Deux ou trois incursions à Saint-Jean-de Monts, une station balnéaire réputée, avec son casino, sa fontaine-naïade, ses larges espaces verts, mais alignant aussi des immeubles tout au long des trois kilomètres de sa plage. Nous y allons notamment le soir de la Fête de la Musique où, sur le front de mer, nous remarquons la prestation d'un chanteur à voix, qui interprète des gospels et spirituals, Mark Dukes. Nous le retrouvons le lendemain à Notre-Dame-de-Monts, à l'hôtel-restaurant du Centre. Nous buvons un pot en l'écoutant et lui achetons deux exemplaires d'un CD intitulé Good news.
   Excursions à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, à la fois port de pêche et de plaisance, avec la falaise dénudée de sa Corniche vendéenne et son trou du Diable !  Les Sables-d'Olonne, port de pêche et de plaisance également, point de départ tous les quatre ans, de la course à la voile en solitaire du Vendée Globe. Mais aussi une ville, où l'on retrouve les insignes signes de notre "civilisation", avec les parcmètres de stationnement !  Promenade le long du Remblai qui borde la plage et déborde de luxueuses résidences, boutiques, hôtels, cafés… Après être passé devant la tour d'Arundel du 12e siècle, nous allons ensuite flâner sur les quais du bassin de pêche, face à la Chaume, l'ancien quartier des pêcheurs, avec ses maisons à toits de tuiles. Nous faisons escale aux Trois mâts, quai Guiné, le temps d'un déjeuner.
   Tour de l'île de Noirmoutier en cabotant par voie terrestre : Noirmoutier-en-l'Ile, la blanche capitale, près des marais salants, avec sa pimpante petite place Saint-Louis, mais aussi son austère château du 15e siècle. Le bois de la Chaise et l'harmonieuse plage des Dames, le tout petit village de Grand-Viel (!), l'Herbaudière, la pointe extrême de l'île, avec son port de pêche. La Guérinière où, à la crêperie La Chaumière, nous prenons une fraîche et bienvenue bolée de cidre !
   Visite à une curiosité de la région, le passage du Gois qui était, avant la construction du pont, la seule voie d'accès à Noirmoutier et praticable seulement à marée basse !
   Un souci pour quitter Notre-Dame-de-Monts. Le jour prévu de notre départ, pour rentrer à Paris, est aussi celui du départ du Tour de France, de Fromentine, la localité voisine où nous devons normalement passer !  Alors, entre la foule, la circulation, les interdictions de circuler à prévoir… En étudiant la carte Michelin détaillée, j'établis vite fait un itinéraire bis qui nous fait emprunter le chemin des écoliers, à travers le marais de Chaillans, le pays des renommés poulets à pattes noires, pour rejoindre cette localité et nous évader du secteur à vitesse grand V.
 
   Septembre 2005, nous allons respirer l'air de Saint-Brévin-les-Pins, au sud de Saint-Nazaire, sur la rive opposée de la Loire, station balnéaire bien nommée car généreusement pourvue de cette essence odorante. Contrairement à nos usages, nous nous installons en demi-pension à l'hôtel Le Petit Trianon. Un établissement agréable qui, sans être royal, réserve un bon accueil, une bonne table et nous attribue une chambre ensoleillée avec balconnet garni de jardinières de géraniums que j'ai à cœur d'arroser et de soigner en coupant les feuilles desséchées. Atavisme sans doute de ma culture terrienne !
   Activité principale débordante, en position allongée sur les sables d'or. Un livre à la main, mes yeux courent le long des lignes, sautent allègrement d'un paragraphe, d'une page à l'autre, mes neurones suractivés hyper-excités jouent sur vingt-six notes pour déchiffrer  la partition d'une histoire… Comme quoi, avoir l'air de ne rien faire peut être trompeur !
   A noter tout de même un fait exceptionnel lié à une température de l'eau elle aussi exceptionnelle, due sans doute à sa montée en douceur sur le sable brûlant de la plage extra-plate : je me jette à l'eau !  Une grande première. Car c'est la toute première fois que j'ose confier mon corps à l'océan Atlantique !
   Cela mis à part, promenades le soir au centre ville "à la recherche du temps perdu" de l'été qui s'est enfui. Avec les estivants. Et sitôt les rideaux baissés des boutiques, les rues se désertifient à la vitesse de galop des grandes marées au Mont-Saint-Michel !

 
 "Maman, bobo !"
   30 mai 2006, 21 heures, juste après dîner chez Monique, j'ai soudain la gorge serrée, même un peu douloureuse. Je m'examine dans la ,glace de la salle de bain, pensant tout d'abord à un banal mal de gorge naissant. Puis en me palpant le cou, je perçois la présence de grosseurs. Peut-être l'inflammation de ganglions ?  Je perçois ensuite une sensation de froid et suis pris de tremblements. Je prends ma température. Pas de fièvre. J'absorbe néanmoins un comprimé d'aspirine PH8 pour son effet antalgique et anti-inflammatoire et me recouvre d'un plaid. Malgré cela, je passe une mauvaise nuit par la gêne occasionnée au niveau de la gorge.
   Je passe ainsi quelques jours, croyant à un malaise passager, tout en consultant un bouquin de médecine, Votre santé (Robert Laffont, collection Bouquins), que je compulse de temps à autre, depuis des années, par simple curiosité intellectuelle, au sujet de pathologies dont j'entends parler autour de moi. Une encyclopédie médicale de plus de 2 000 pages que j'apprécie particulièrement pour ses informations assez exhaustives, objectives, ne cherchant pas à dissimuler la vérité, révélant le taux de survie face à certaines maladies, les effets secondaires des traitements… Je complète mes connaissances (élémentaires !) dans ce domaine par le Dictionnaire des médicaments, du même éditeur, ainsi que par Le Guide Giroud-Hagège de tous les médicaments (Editions du Rocher). Deux ouvrages qui évaluent l'efficacité thérapeutique des spécialités et permettent ainsi de savoir à quoi s'en tenir… S'en tenir plutôt parfois à pratiquer gym, régime et bonne hygiène de vie pour pallier nombre de problèmes !
   Progrès technologique oblige, je consulte également les sites Internet dédiés à la médecine et, après quelques jours de réflexion, commence à établir un autodiagnostic. Je pense que je suis atteint d'un dysfonctionnement de la glande thyroïde et, au vu des symptômes, plus précisément d'une hyperthyroïdie. Ce qui n'est pas du tout anodin. Je décide donc, dès lors, de consulter mon médecin généraliste, le Dr Russo, que je connais maintenant depuis bientôt vingt ans et que je vois régulièrement pour un bilan annuel. Qui me connaît bien aussi !  Et semble justement apprécier mes quelques connaissances dans son domaine, ce qui nous amène à des entretiens intéressants.
   Les analyses demandées au Laboratoire de biologie médicale BioQuinze, rue de la Croix-Nivert, où je vais habituellement pour mes contrôles annuels, révèlent un véritable effondrement de la TSH (Thyroid Stimulating Hormone) avec un taux proche de zéro et, en revanche, un dépassement du seuil maximal des hormones T3 et T4, ce qui confirme la présomption d'hyperthyroïdie. Quant à l'échographie passée au Centre d'imagerie médicale, place du Commerce, elle confirme la présence de plusieurs nodules que j'avais décelés à la palpation. Le Dr Russo, qui a reçu copie de ces résultats, m'appelle d'ailleurs chez moi pour convenir d'un rendez-vous au plus vite.
   Sachant que j'ai dû sans doute potassé la question, il m'avoue en riant qu'il a lui-même révisé, en ressortant des numéros du Quotidien du médecin traitant du sujet, encore sur son bureau !  Mais très sérieusement, il décroche son téléphone et demande un rendez-vous avec un endocrinologue de l'hôpital Cochin et me prescrit seulement, pour l'instant, en cas de besoin, un somnifère, Stilnox, et un antidépresseur, Xanax. Je ne consomme que très peu du premier, dormant encore convenablement, bien qu'étant assez nerveux. Quand au second, en ayant pris un seul comprimé, je m'empresse, dès le lendemain, d'en faire don au pharmacien pour les bonnes œuvres, vu l'état d'abrutissement dans lequel il me plonge !
   Mais je ne peux, en fait, obtenir un rendez-vous auprès du secrétariat que fin juin, avec le Dr Abivin. Entre-temps, malgré une alimentation enrichie avec, notamment, de la viande rouge au menu, contrairement à mon habitude, je maigris de cinq kilogrammes et me traîne lamentablement, sans forces, me faisant violence pour sortir tout de même, après déjeuner, boire un café à l'extérieur. Pas brillant. Peut-être un échantillon de ce qu'est la vieillesse !
   Hôpital Cochin, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 28 juin. Malgré mon sens de l'orientation, il me faut déjà atteindre, dans un dédale de couloirs et d'escaliers, le "Service des maladies endocriniennes et métaboliques". Un décor triste, sous lumière artificielle, loin de remonter le moral des patients impatients de recouvrer la santé !  A des années-lumière du décor clair et rassurant des cliniques de chirurgie esthétique. Mais personnel d'accueil plutôt aimable. Après quelque temps d'attente, je suis reçu par le Dr Abivin qui se révèle être une jeune femme, Gwenaëlle, sympathique et attentive. Elle préconise un examen complémentaire, une scintigraphie, qui permet d'approfondir la nature des nodules. En attendant, elle me conseille tout simplement de prendre éventuellement un peu d'aspirine. Ce dont j'ai déjà pris l'initiative, lui avoué-je en souriant !
   Le matériel de l'hôpital Cochin étant temporairement hors service, je me rends, début juillet, à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, boulevard de l'Hôpital. Cet examen implique l'injection préalable d'iode radioactif 123 et d'un temps d'attente d'une heure environ. J'en profite pour découvrir sommairement cet établissement dont l'importance me surprend, non seulement par sa superficie et ses nombreux bâtiments et pavillons, mais aussi avec ses rues, ses espaces verts arborés, son église… Une ville dans la ville !… Finalement, cette scintigraphie réalisée, elle se révèle être "blanche", c'est-à-dire que les nodules ne sont ni "chauds" ni "froids", une qualification attribuée selon qu'ils fixent plus ou moins l'iode radioactif.
   Le Dr Abivin, muni des ces dernières informations, pense que je suis atteint d'une thyroïdite, une inflammation de la glande en réaction à la présence d'un virus ou d'une bactérie. Le retour à la normalité doit s'opérer progressivement, de manière naturelle, avec un passage par une phase d'hypothyroïdie. Ce que confirme, vers la mi-octobre, une nouvelle analyse, révélant un bilan thyroïdien correct.
   Satisfait des soins et de la qualité d'accueil de cette spécialiste et du personnel l'entourant, je lui adresse une carte pour lui exprimer ma reconnaissance. J'estime qu'il faut aussi le dire quand cela se justifie. Et ne pas seulement savoir récriminer !
 
   Cette affection a bouleversé notre programme estival. Conviés depuis des mois à fêter, à la mi-juillet, l'anniversaire de mariage de cousins de Monique, près des Arcs, en Haute-Savoie, j'avais envisagé un séjour préalable dans le parc de la Vanoise… La vie m'a malheureusement appris à toujours être prudent en matière de projets à long terme. Cela en est encore la probante illustration. Incapable d'entreprendre ce trajet par quel que moyen que ce soit, j'ai invité Monique à s'y rendre seule. Dommage, les paysages étaient magnifiques, paraît-il, et l'ambiance, musicale !

A suivre : De la terre aux étoiles - Je me raconte - 10
 

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